Cinq ans après, la question irakienne reste sans réponse 18 mar, 2008
BAGDAD - Cinq ans après l’intervention des forces américaines et
britanniques, cinq ans après le renversement du régime de Saddam
Hussein, de nombreux Irakiens se demandent si l’objectif valait les
violences et les bouleversements qui marquent aujourd’hui encore leurs
existences.
Le coût humain de la guerre en Irak est effrayant.
Les pertes civiles sont impossibles à estimer de manière précise, les
différentes études ou enquêtes oscillent entre 90.000 et un million de
morts. Quatre millions d’Irakiens ont été déplacés. Dans les rangs des
forces américaines, le bilan frôle désormais les 4.000 décès.
Sur l’autre versant, les Irakiens en ont fini avec
un régime dictatorial considéré comme l’un des pires du XXe siècle.
Jugé coupable de crimes contre l’humanité, Saddam Hussein a été
condamné à mort et exécuté le 30 décembre 2006. L’Irak est désormais
dotée d’une nouvelle constitution, les élections y sont libres.
Cela valait-il une guerre? Lorsque, cinq ans après,
les Irakiens abordent cette question, leur réponse dépend en partie de
leur affiliation religieuse ou ethnique et de la région où ils vivent.
Saddam Hussein appartenait à la minorité sunnite.
Sous son règne, les chiites, majoritaires, et les Kurdes ont été
persécutés. Aujourd’hui, la majorité chiite est au pouvoir; les Kurdes
jouissent d’une quasi-autonomie dans le Nord; les sunnites, eux, ont le
sentiment d’être marginalisés.
SITUATIONS VARIABLESA Bagdad, épicentre des affrontements entre chiites
et sunnites de 2006 et 2007 qui ont manqué de précipiter le pays dans
la guerre civile, certains regrettent la sécurité qui régnait dans la
capitale sous Saddam.
Dans le Sud chiite, la disparition des hommes de
main de l’ex-dictateur est un soulagement, mais ce sont des factions
chiites en quête d’influence qui s’affrontent désormais.
Dans le Nord, l’économie est florissante et les Kurdes ont rebaptisé leur région “l’autre Irak”.
Hochiyar Zébari, ministre des Affaires étrangères,
appartient à la communauté kurde. Pour lui, l’Irak progresse dans la
bonne direction. A ceux qui souffrent des conséquences de
l’intervention américaine, à ceux qui jugent que ce fut une erreur, il
rappelle les atrocités commises sous Saddam.
“La brutalité du régime de Saddam a déformé notre
société à bien des égards, nous devons donc être patients”, dit-il dans
une interview accordée à Reuters. “Si nous nous comparons aux
expériences d’autres nations, je pense que nous nous en sommes bien
sortis. Mais oui, bien sûr, cela a été très, très cher.”
TUÉS POUR LA CONSONNANCE DE LEUR NOMOum Khalid, une coiffeuse de 40 ans vivant à Bagdad,
ne peut accepter ce discours. “Non, non, non! Ce qui s’est passé n’en
valait pas la peine. Ceux qui prétendent que les choses se sont
améliorées sont des menteurs”, dit-elle.
L’euphorie qui a suivi la chute de Saddam - on se
souvient des scènes de liesse à Bagdad -, l’espoir que les Etats-Unis
feraient de l’Irak un riche pétro-Etat du Golfe, a rapidement fait
place à l’horreur des attentats à la bombe et des fusillades.
Le 19 août 2003, cinq mois après l’entrée des forces
américaines en Irak, un camion piégé explose devant le quartier général
de l’Onu à Bagdad. Bilan: 22 morts, dont l’émissaire des Nations unies
Sergio Vieira de Mello. Le 29 août, c’est une voiture piégée qui frappe
la mosquée de l’imam Ali à Nadjaf, ville sainte chiite.
Quatre-vingt-trois morts dont l’ayatollah Mohammed Baqer al Hakim,
guide spirituel chiite.
Rapidement, les insurgés sunnites font des marchés
et des mosquées des champs de bataille. L’Irak devient un terrain
d’entraînement et une terre d’élection pour les “djihadistes” proches
du réseau Al Qaïda.
A partir de février 2006 et la destruction du dôme
de la Mosquée d’or de Samarra, autre lieu saint de la branche
minoritaire de l’islam, chiites et sunnites s’affrontent au nom de
leurs croyances religieuses. La seule consonance d’un nom peut être un
passeport direct pour la mort.
“Avant 2003, nous vivions sous un régime sévère, nul
ne peut le nier. Mais nous n’avions au moins jamais entendu parler de
cadavres jetés sur des décharges pour la seule raison que leur nom
était chiite ou sunnite”, dit Abou Ouassane, ancien général et
ex-responsable du parti Baas démantelé après la chute de Saddam.
LA LITANIE DES STATISTIQUESLe pire de ce carnage confessionnel est passé, du
moins pour l’instant. Il y a un an, la police retrouvait chaque jour
jusqu’à 50 cadavres abandonnés de nuit dans les rues de Bagdad. Le
déploiement des renforts américains et les cessez-le-feu entre factions
sunnites et chiites ont ramené ce nombre sous les dix. Autre
explication: dans certains quartiers de Bagdad, il n’y a plus aucune
mixité religieuse.
Les dernières estimations des pertes recensées par
l’Iraq Body Count, organisme de défense des droits de l’homme à la
réputation assise, font état de 89.000 civils tués depuis 2003. Des
études britanniques basées sur des extrapolations avancent, elles, un
bilan d’un million de morts.
D’autres statistiques dressent un état sinistre du
“nouvel Irak année cinq”. Selon l’Onu, quatre millions d’Irakiens
souffrent de malnutrition et 40% des 27 millions d’habitants du pays
n’ont pas d’eau potable.
Pour ce qui est de la santé publique, l’Irak est
confronté à l’exil des médecins. Selon le syndicat professionnel, 70%
des spécialistes ont fui à l’étranger.
L’alimentation électrique est une autre source de
difficultés de la vie quotidienne. Les installations, dévastées par les
années de guerre et les sanctions internationales sous Saddam, sont
sous-dimensionnées et des millions de personnes sont régulièrement
plongées dans le noir.
“La démocratie? Quelle démocratie? La prospérité?
Quelle prospérité? Lorsque la statue de Saddam est tombée, nous avons
cru que nous vivrions comme dans les Etats du Golfe, mais ce n’était
que des mots”, s’emporte Abdallah Ahmed, un chauffeur de taxi de 53
ans, rencontré dans une longue file d’attente à une station-services de
Kirkouk, centre de la production pétrolière irakienne.