La femme, le voleur et l'âne.

Mullah Nasrudin en avait assez de donner à manger à son âne.
Il demanda à sa femme de s'en occupper à l'avenir, mais celle-ci refusa.
Cela se termina par une dispute au terme de laquelle ils décidèrent que celui des deux qui parlerait le premier donnerait à l'âne sa pitance.

Le Mullah s'assit stoïquement dans son coin. Sa femme ne fut pas longue à s'ennuyer : elle sortit donc voir les voisins.
Comme l'heure du dîner approcher, elle envoya un jeune garçon porter un bol de soupe à son époux.

Dans l'intervalle, un voleur était entré par effraction dans la maison silencieuse des Nasrudin.
Il vola tout ce qu'il put. Le Mullah se tenait toujours coi dans son coin.
Voyant cette silhouette immobile et muette, le voleur prit pour finir le bonnet qui en coiffait la tête, et s'éclipsa.

Peu après le jeune garçon arrivait, portant le bol de soupe.
Nasrudin tenta de lui expliquer avec force gestes qu'un voleur s'était introduit dans les lieux, mais ce qui retint l'attention du jeune porteur de soupe, c'est que le mulla n'arrêtait pas de montrer avec agitation sa tête du doigt, sa tête dont le bonnet qui la couvrait d'habitude avait disparu.

Prenant ce geste pour un ordre, le jeune garçon versa le contenu du bol sur la tête du Mullah et revint raconter à sa femme ce qui s'était passé.

Celle-ci se dépêcha de rentrer.
Voyant toutes les portes ouvertes, et les placards vides, elle accabla Nasrudin d'invectives.

"Maintenant, lui dit-il, va donner à manger à notre âne, et vois où nous a menés ton entêtement."


(Source : "Les subtilités de l'inimitable mullah Nasrudin" par Idries Shah)