Parce que chacun de nous est différent, de différents caractères, de différentes habitudes, de différentes humeurs…
Parce que dans la vie, les situations sont différentes et que les états changent :
- la confiance peut devenir trahison et la trahison peut laisser place à la confiance
- l’amitié devient aversion et l’aversion devient amitié
Parce que chaque jour, des amitiés se font et se défont…
Parce que chaque jour, des liens se tissent et se brisent…
Le Messager d’Allah () nous a donné un enseignement des plus remarquables. Il dit un jour à l’un de ses Compagnons (radhiyallâhou ‘anhoum) :
« Aime celui que tu aimes de façon modérée. Il se peut que l’ami d’aujourd’hui devienne l’ennemi de demain.
Et déteste celui que tu détestes de façon modérée. Il se peut que l’ennemi d’aujourd’hui devienne l’ami de demain ». (Tirmidhî)
Ce Hadith nous enseigne ici une chose fondamentale : la modération dans les relations que nous entretenons avec les gens : modération dans l’amitié que l’on voue à son ami et modération dans l’aversion et la haine que l’on porte à son ennemi…
Bien sûr, l’Islam encourage et incite à entretenir de bonnes relations avec l’ensemble de notre entourage (dans les limites autorisées), et bien sûr, l’Islam met en garde contre la haine, l’aversion, la colère…
Mais le message de l'islam n'est pas un idéal éloigné de la réalité. L'islam décrit certes l'idéal, mais il n'oublie pas qu'il y a la réalité des hommes avec leurs faiblesses. La vie est ainsi faite, et l’être humain, de par sa faible nature, en arrive parfois à aimer certains de ceux qu'il détestait et à haïr certains de ceux qu'il aimait.
Et ce Hadith nous rappelle justement que rien dans nos relations n’est jamais définitif. Combien de fois en effet, l’amitié d’une vie se transforme soudainement en une haine indescriptible ? Celui qu’on accompagnait jour et nuit devient tout à coup la personne la plus détestée sur terre ! Il n’est plus supportable de voir son visage même !
Et combien de fois également, une haine cultivée depuis des années se transforme subitement en une complicité inattendue ?
En un mot, l’ami d’aujourd’hui devient l’ennemi de demain et l’ennemi d’aujourd’hui devient l’ami de demain !
C’est pourquoi, il est nécessaire de faire preuve de modération dans nos rapports à autrui…
Moufti Taqî (hafidhoihoullâh), dans « Islâhî Khoutbât », écrit en disant que ce Hadith est un enseignement précieux, particulièrement pour ceux dont l’état des rapports à autrui est tel que lorsqu’ils se font un ami, il n’y a plus de limites dans leur amitié. Ils mangent et boivent ensemble, marchent ensemble, sont partout ensemble. Ils se disent tout. Il n’y a plus de secrets entre eux, oubliant par la même qu’il est tout à fait possible qu’il devienne notre ennemi demain, et oubliant qu’ils pourraient regretter demain tous les secrets dévoilés… Ils ne voient plus à ce moment aucun défaut l’un de l’autre. Ce n’est qu’admiration et louanges… Puis tout à coup, on apprend que les deux amis se sont disputés. Les deux amis ne sont plus amis ! Et ceci à tel point qu’ils ne veulent même plus voir le visage l’un de l’autre. Entendre le nom de l’autre même est insupportable. Et là où il y avait avant louanges et admiration, il n’y a plus maintenant que dénigrement et aversion. On ne voit plus à ce moment aucune qualité de l’autre. Pire, on trahit son prochain à propos de ce que l’on connaît de lui ! Ses secrets sont maintenant dévoilés en public et sa vie racontée à qui veut bien l’entendre… On l’insulte et on lui dit des paroles qui le blesseront pour toujours, oubliant par la même qu’il est tout à fait possible qu’il redevienne notre ami demain et à ce moment là, on pourrait être honteux de s’être dénigrés ainsi aujourd’hui. Il n’y a là aucune modération, ni dans l’amitié, ni dans la haine.
Durant l’entente, on est tellement en bons termes que l’on ferme les yeux sur ce qu’il dit ou fait de mal et on est prêt à prendre sa défense même lorsqu’il a tort. Et durant la mésentente, on a tellement de haine qu’on ne voit plus chez lui aucun bien et on agit avec lui avec injustice.
Allah dit :
« Que l’aversion que vous ressentez pour certaines personnes ne vous incite pas à commettre des injustices ! Soyez équitables, vous n’en serez que plus proches de la piété ! Craignez Dieu ! Dieu est si bien informé de ce que vous faites. »
Ce n’est pas parce qu’il y a mésentente que tout devient possible !
Qui n’a pas entendu parler de Hadjâj Ibnou Yoûssouf, le tyran des premiers temps de l'islam dont beaucoup d'éminentes personnalités eurent à souffrir les injustices ? Il a emprisonné et fait tuer injustement des milliers de gens, hommes, femmes, savants…et même un Compagnon du Prophète !
Un jour, une personne se mit à parler de lui en mal et à le médire en présence de Hazrat ‘Abdoullâh Ibnou ‘Oumar (). Ce dernier interrompit l’homme et lui dit : « Ce n’est pas parce qu’il était un oppresseur que tu as le droit de le calomnier ! Sachez que le Jour du Jugement, lorsqu’Allah jugera Hadjâj Ibnou Yoûssouf pour son oppression et ses meurtres injustes, vous serez également jugés pour sa médisance et sa calomnie ! »
Ce n’est pas parce que la personne agit mal, que lui dire ou faire du mal devient licite ! Il faut rester juste et modéré dans son jugement et dans ses agissements.
Ami d’aujourd’hui, ennemi de demain ! Ennemi d’aujourd’hui, ami de demain !
Qâdhî Baccâr Ibnou Qoutaybâh () est un célèbre savant de Hadiths et professeur de l’Imâm Toihâwî (), auteur du recueil de Hadiths du même nom.
Le roi de son époque lui vouait un grand respect et une grande admiration. Il ne prenait aucune décision sans son avis. Il était consulté à propos de chaque chose et il était présent à tous les évènements de la cour. L’estime du roi pour lui était telle qu’il fut nommé juge de tout le pays. Tous les jugements étaient délivrés par lui. Jour et nuit, il restait en compagnie du roi. Son intercession pour qui que ce soit auprès de ce dernier était acceptée. Pendant une longue période, c’est ainsi que cela se déroulait : il exerçait la fonction de juge et était également consultant auprès du roi.
Mais puisqu’il était un savant et juge et non un serviteur et esclave du roi, un jour que ce dernier avait mal agi à propos d’une affaire, Qâdhî Ibnou Qoutaybâh lui fit remarquer son erreur et déclara que tel acte du roi contredisait les lois divines. Il avait dénoncé les mauvais agissements du roi !
Ayant entendu cela, le roi se mit dans une grande colère. Il se dit que cela n’est pas possible que celui qui mange jusqu’à maintenant à sa table, celui qui passe ses journées en sa compagnie, celui à qui il offre de nombreux présents, puisse aujourd’hui se prononcer à son encontre ! Il décida alors qu’à partir de ce jour, le juge ne serait plus juge ! Il le démit de ses fonctions ! Mais ce n’était pas terminé ! Il lui envoya également un de ses hommes pour lui ordonner de rendre tous les présents qu’il lui avait offerts jusqu’à présent !!!
Imaginez un peu ! Réclamer des présents offerts pendant de nombreuses années ! Et ceci parce qu’il avait qualifié de mal l’acte du roi.
Lorsque l’émissaire du roi se présenta à sa porte et lui réclama les présents, Qâdhî Ibnou Qoutaybâh l’emmena dans une pièce de sa maison et là, il ouvrit une armoire qu’il gardait fermée à clef. Stupeur ! L’armoire était remplie de tous les présents offerts par le roi depuis des années. Et tous étaient encore dans leur emballage initial ! Il ne les avait même pas déballés !
Il dit alors à l’émissaire : « Ramène à ton roi tous ses présents ! Chaque fois qu’il m’en offrait un, je le rangeai ici sans même l’ouvrir ! Par la Grâce d’Allah, depuis le jour où cette amitié s’établit entre le roi et moi, j’avais gardé à l’esprit cette parole du Messager d’Allah (swallallâhou ‘alayhi wasallam) :
« Aime celui que tu aimes de façon modérée. Il se peut que l’ami d’aujourd’hui devienne l’ennemi de demain ».
Je m’étais alors déjà préparé à ce jour où nos relations ne seraient plus les mêmes et où il me faudrait retourner les présents obtenus. C’est pourquoi je n’y ai jamais touché ! »
Voilà une application parfaite des paroles prophétiques, application qui lui évite ce jour-là un déshonneur annoncé. Bien au contraire, ce ne fut qu’honneur et fierté !
En vérité, le seul être digne d’une totale amitié pure et sincère est Allah. Une amitié qui, on en est convaincu, ne se retournera jamais contre nous !
D’ailleurs le Prophète , notre modèle dans tous les aspects de notre vie, nous a fait comprendre que sur terre, il n’avait pas d’ami intime dans le sens le plus profond du terme. C’est ainsi qu’il dit un jour : «Si je devais avoir un ami intime (sur terre), alors ce serait Abou Bakr !» (Boukhâri)
Un ami sincère qui prendrait totale possession de notre cœur, à qui l’on obéirait au doigt et à l’œil, cet ami là ne peut être qu’Allah ! Un ami qui ne trahit jamais !
Un maître dans l’art du combat avait parmi ses élèves, un jeune très doué qu’il appréciait particulièrement. Son attachement pour lui était tel qu’il lui avait apprit toutes les techniques de combat qu’il connaissait : 99 en tout et pour tout ! Chose qu’il n’avait pas faite pour aucun autre élève. Et ce jeune les avait toutes assimilées ! Il devint aussi redoutable que son maître !
Cependant, un jour, une mésentente survint entre l’élève et le professeur et de dispute, ils en arrivèrent à la bagarre. Tous les deux en arrivèrent aux mains ! Le professeur commença alors à employer ses techniques de combat. Une, puis une autre, puis une autre, puis une autre…A chaque fois, l’élève l’évitait et le contrait. Il les connaissait aussi ces techniques ! Le professeur continua ainsi jusqu’à épuiser ses 99 techniques. L’élève avait tenu bon !
Alors, au moment où, fier de sa prestation en combat réel face à son professeur, la joie rayonnait sur le visage de l’élève, son maître lui asséna une ultime prise qui l’envoya directement au tapis ! L’élève était vaincu ! La centième prise avait eu raison de lui ! Son maître lui dit alors : « Je t’ai enseigné 99 prises de combat et j’en ai gardé une centième pour moi au cas où ce jour devait se présenter où on se serait livré bataille ! »
« Aime celui que tu aimes de façon modérée. Il se peut que l’ami d’aujourd’hui devienne l’ennemi de demain.
Et déteste celui que tu détestes de façon modérée. Il se peut que l’ennemi d’aujourd’hui devienne l’ami de demain ».