D. Boubakeur : « L’islam ne doit pas refuser la modernité »Recteur de l’Institut musulman de la mosquée de Paris, président du Conseil français du culte musulman, Dalil Boubakeur était l’invité, jeudi soir à la salle du Chapeau-Rouge, de la Liberté de l’esprit. Il a plaidé en faveur d’un islam moderne fortement enraciné dans la République laïque.
Vous écrivez dans l’un de vos nombreux ouvrages que l’islam est confronté à des défis. Quels sont-ils ? La pensée musulmane est arrêtée depuis Averroès, au XII e siècle ! Elle stagne et a laissé échapper trois défis : les révolutions coperniciennes, darwiniennes et freudiennes. L’islam doit, en outre, dépasser l’enseignement religieux pour la rationalité. C’est ce que j’appelle le défi laïque. En d’autres termes, la religion ne doit pas s’impliquer dans tous les domaines de la vie. L’islam, hélas, en est loin. Le mal de l’islam est d’être un islam politique ! Le défi à surmonter est celui de la modernité, en quelque sorte... Les musulmans, en effet, ne s’en sortiront pas tant qu’ils refuseront de voir le monde tel qu’il est. Prenez le statut de la femme : les musulmans doivent cesser de regarder la femme comme un être bizarre. La polygamie, le mariage des fillettes et la lapidation sont des scandales. Les musulmans doivent comprendre qu’il y a des traditions qu’il faut abandonner ! Cela passe par un renforcement de l’enseignement laïque... Dans ce domaine, la colonisation a été une régression terrible. Les colonisateurs se sont contentés de former quelques élites, laissant de côté l’immense majorité du petit peuple des campagnes. Sans doute, n’avaient-ils pas les moyens financiers d’aller plus loin. Mais la période post-coloniale a été terrible, elle aussi. En Algérie, par exemple, le gouvernement, dès les années 60, s’est tourné vers les pays musulmans. Grave erreur. Des barbus se sont alors introduits dans le système scolaire. Le refus de l’Occident, la privation de la source culturelle française ont conduit aux tragédies que l’on connaît... Comment expliquer, à ce propos, le succès de l’islam radical ? Au cours des 50 dernières années, le monde musulman est passé par tous les prismes politiques : le nationalisme comme le marxisme révolutionnaire, sans succès. La victoire de Khomeni en Iran en 1979 a été un tournant historique. La tentation était grande d’étendre le modèle à l’ensemble du monde arabe qui souffrait. C’est à cette période que les Frères musulmans, décapités à l’époque de Nasser, ont notamment repris du poil de la bête, à partir des mosquées. Un peu partout, des ayatollahs d’opérette ont prospéré : « Venez avec nous, on vous promet des lendemains qui chantent ! » En concluant, un gentleman-agreement avec les islamistes, le monde occidental a également eu une part de responsabilité. Les responsables occidentaux ont, en effet, longtemps cru qu’ils pourraient garantir leur sécurité en laissant les terroristes tranquilles. Ce deal illusoire a été rompu le 11 septembre 2001. Les démocraties occidentales sont frappées d’aboulie, elles manquent de volonté. Les musulmans fondamentalistes en France sont très minoritaires - 3 % environ - mais très perméables à des discours irresponsables à la Tariq Ramadan. Madrid a montré qu’ils font ce qu’ils veulent quand ils veulent. Je dis aux jeunes : ne suivez pas ces gens-là, ils vont conduire à des mouvements islamophobes...
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Biographie
Dalil Boubakeur (né le 2 novembre 1940 à Skikda en Algérie), est une personnalité de la communauté musulmane en France. Il est l’actuel recteur de la Grande Mosquée de Paris et fut le 1er président du Conseil français du culte musulman (2003-2008).
Fils de Si Hamza Boubakeur, ancien recteur de la Grande Mosquée de Paris, il naît en Algérie française où il passe son enfance avant de rejoindre la France avec sa famille en 1957 lors de la guerre d’Algérie. Il poursuit des études de médecine et devient médecin, rattaché à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Par la suite il est chargé d’enseignement aux Facultés de médecine de Paris-Créteil, de Kremlin-Bicêtre et de la Pitié-Salpêtrière. Il est membre du Conseil de l’Ordre des médecins de Paris depuis 1977.
En 1985 il devient président de la Société des habous et Lieux Saints de l’islam puis vice-président de 1987 à 1992. En tant que tel, il approuve en 1989 la condamnation (fatwa) par l’imam Khomeiny du livre Les Versets sataniques de Salman Rushdie[1]. Il est ensuite nommé en 1992 recteur de l’Institut musulman de la mosquée de Paris à la suite des deux recteurs ayant succédé à son père entre 1982 et 1992 (Cheikh Abbas et Tidjani Haddam). Le 23 avril 2002, il a été l’invité spécial à la loge maçonnique Aequitas[2].
En avril 2003 il devient président du Conseil français du culte musulman qui vient d’être créé avec le soutien actif de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Il a été réélu en avril 2005 à cette fonction. Il est membre du comité de parrainage de la Coordination française pour la Décennie de la culture de paix et de non-violence. Il est également vice-président du Conseil (départemental) de l’Ordre des médecins de la Ville de Paris
Étant adepte d’un problématique islam intégré dans la société française, il est critiqué à la fois par les cercles fondamentalistes qui lui reprochent, entre autres, de ménager de bons rapports avec le pouvoir algérien, et par la droite nationale qui suspecte la sincérité de son allégeance à la nation française.
Sa déclaration au journal Le Monde daté du 24 janvier 2007, "La présence d’hommes politiques à ce procès [celui de Charlie-Hebdo] fait entrer dans la campagne électorale un thème qui n’a pas lieu d’y être", suscite des remous du côté des milieux républicains, hostiles au communautarisme et très attachés au principe constitutionnel de liberté d’expression.