Le musulman ordinaire face à la divergence des savants
[Partie N°1](Mouhammad Nacerdine al-Albany qu’Allah lui fasse miséricorde)
Fatwa de Cheikh al Albany [1] Fatwa I La position à prendre face aux divergences des savantsLa plupart des gens ne savent pas la cause des désaccords entre les savants et ne savent pas quelle position adopter vis à vis de ces divergences d’opinion.
Une grande majorité des gens disent, comme cela a été rapporté dans un hadith faible, « le désaccord de ma communauté est une miséricorde » de sorte qu’ils acceptent toutes les divergences, même les plus prononcées.
Et une petite partie veut carrément supprimer les divergences de sorte que les savants ne parlent plus que d’une seule voix sur tous les sujets sur lesquels les savant qui nous ont précédés étaient en désaccord. Ceci est évidemment impossible car Allah avec Sa sagesse immense a dit, et son ordre ne peut pas être contré :
وَلَوْ شَاء رَبُّكَ لَجَعَلَ النَّاسَ أُمَّةً وَاحِدَةً وَلاَ يَزَالُونَ مُخْتَلِفِينَ
إِلاَّ مَن رَّحِمَ رَبُّكَ
« et si Ton seigneur avait voulu il aurait fait des gens une seule communauté. Or ils ne cessent d’être en désaccord entre eux, sauf ceux à qui ton seigneur a accordé miséricorde. »[2].
Il y a deux types de divergence :
· La divergence de compréhension,
· La divergence qui engendre la dissension et l’inimitié.
Nos pieux prédécesseurs (salaf) étaient sur le premier, ils ne se combattaient pas, ni ne se fâchaient à cause de leurs divergences d’opinion, et cela du fait du verset suivant :
وَ لاَ تَكُونُوا مِنَ الْمُشْرِكِينَ
مِنَ الَّذِينَ فَرَّقُوا دِينَهُمْ وَكَانُوا شِيَعًا كُلُّ حِزْبٍ بِمَا لَدَيْهِمْ فَرِحُونَ
« ne soyez pas parmi les associateurs, parmi ceux qui ont divisé leur religion et sont devenus des sectes, chaque parti exultant de ce qu’il détenait. »[3].
Si nos pieux prédécesseurs et, avant eux, les compagnons du prophète divergeaient, alors ceux qui viennent après eux sont plus à même de diverger.
Par contre, à l’exemple des compagnons, ils doivent éviter que leurs divergences d’opinions ne se transforment en dissension et inimitié.
La divergence d’opinion et inéluctable est aucun musulman ne doit la renier lorsque celle-ci apparaît entre deux savants car elle fait partie de la nature humaine sur laquelle Allah a crée l’homme comme cela a été évoqué dans le verset précédent.
Que doit donc faire le commun des musulmans lorsqu’il est devant une telle divergence ? Et c’est là le but de ma parole lorsque je parlais précédemment de l’ignorance de la masse quant à la position à prendre dans pareil cas.
La masse des musulmans vivait depuis environ un quart de siècle enfermée dans les madhâhibs. Chacun dans un madhab, celui ci est hanafî, celui là est châfi’î et l’autre mâlikî…etc.
Aujourd’hui, et la louange est à Allah, il y a un début de réveil, et je dis bien un début, et non pas un réveil complet, Car bien qu’ils aient pris conscience de choses auxquelles leurs prédécesseurs n’avaient pas prêté attention, cette prise de conscience n’est pas complète et a donc besoin d’être achevé. C’est ce que je vais tenter d’entreprendre maintenant :
Ô toi le musulman, quelque soit ta culture islamique, quelle soit forte dans le domaine de la législation (chari’a) ou petite, lorsque tu entends une divergence d’opinion entre deux savants :
1) regarde dans un premier temps si ceux que tu considères comme des savants le sont réellement
Dans beaucoup de cas on a affaire à un « tâlib l’ilm » (apprenti, étudiant) qui dit une parole qui va à l’encontre de ce que disent les savants et on croit alors qu’il y a une divergence entre savants.
2) Par contre si on a affaire à deux savants connus et pieux alors la méthode est la suivante :
Si tu es capable de faire la distinction entre une preuve et une autre alors tu as le devoir de regarder toutes les preuves sur lesquelles s’appuie chaque savant puis tu te penches vers celui qui te tranquillise le plus, vers la preuve qui te semble la plus forte.
Je veux signifier par là que même le commun des musulmans a le devoir de faire un effort de réflexion [dans la recherche de la vérité] (ijtihad, dans le sens linguistique du terme).Cet effort de réflexion (ijtihad) diffère d’une personne à une autre.
Comment un musulman ordinaire doit t’il faire un ijtihad ?
Et bien de la façon suivante :
Scénario 1
1) il écoute une fatwa d’un savant, cette fatwa diffère de celle qu’a prononcée un autre savant
2) il demande les preuves auprès du 1er savant, celui ci lui répond « ceci est mon opinion, mon madhab ».
3) il demande les preuves auprès du 2ème savant qui lui répond « Allah a dit, le prophète a dit, les salafs (prédécesseurs) ont dit… », comme l’a très bien dit ibn al-Qayim :
« La science se définit à travers « ALLah a dit », « Le prophète a dit », et « les compagnons ont dit » et non pas au moyen du camouflage.
Et la science ne consiste pas à ce que tu exposes avec insolence la divergence entre la parole du prophète et l’avis d’un savant. » [al fawâ-id 1/105]
4) Si tu suis cette méthode lorsque tu regardes les arguments alors à ce moment là tu verras la différence qu’il y a entre les deux propos. Je t’ai dit précédemment que l‘un a dit : «ceci est mon opinion, ceci est mon ijtihad, ceci est mon madhab » et cela arrive souvent, tandis que l’autre te cite comme arguments le Coran, la Sounnah ou les paroles des salafs (prédécesseurs).
A ce moment-là, tu vois ton cœur penché vers celui qui t’a apporté les preuves venant du Livre d’Allah et de la Sounnah et non pas vers l’avis du 1er savant. Du coup, le doute qui était en toi se dissipe.
Scénario 2
1) les deux savants présentent des preuves, comme cela s’est produit dernièrement chez le cheikh al Banna, certains d’entre vous étaient présents, lorsque nous avons débattu avec l’un des professeurs au sujet de la lecture de la fatiha à voix haute derrière l’imam.
2) les gens présents écoutent et quiconque voit son cœur se tranquilliser pour tel ou tel avis alors suit cet avis et peu importe qui a raison ; l’essentiel est que celui qui écoute ne soit pas guidé par ses passions ou une idée déjà faite.
Comme l’a dit ibn Mas’oud : « ne soyez pas des gens indécis (« des moutons ») qui disent : « « si les gens font le bien alors nous le faisons et si les gens font le mal, nous le faisons aussi », mais soyez maître de vous même et faites le bien lorsque les gens le font et ne faites pas le mal lorsque les gens le font. ». [al ahkâm (ibn Hazm)][4].
Donc le commun des musulmans a le devoir de réfléchir et de rechercher la vérité, là où elle se trouve, puis de la suivre.
Et tout cela dans les limites de sa culture islamique, de ses connaissances et de sa capacité à comprendre. Allah n’impose à l’âme que ce qu’elle peut.
L’essentiel est qu’il ne soit pas guidé par ses passions.
Conclusion :
La divergence est inéluctable et on ne doit pas essayer de l’éliminer, on ne doit pas demander l’impossible.
Donc la position du commun des musulmans devant la divergence des savants doit être celle que l’on a décrite auparavant, c’est-à-dire qu’ils doivent rechercher la vérité.
Ensuite, ils seront jugés de la même manière que les savants moujtahides, c’est à dire : s’ils se sont trompés alors ils auront une récompense et s’ils ont atteint la vérité alors ils en auront deux.
L’essentiel est qu’ils ne soient pas guidés par leurs envies.
***
(plus tard , Une personne, dans l’assemblé pose une question)
« Comment le commun des musulmans peut-il faire un ijtihad sur les arguments qu’ils leur sont exposés et comment peuvent-ils comprendre le contenu de ces arguments ? »
Réponse :
Les musulmans ordinaires ne sont pas contraints par le législateur à devenir des savants.
il n’y avait parmi les compagnons que 200 savants mouftis. Les autres n’étaient pas des savants comme l’exige l’expression.
On lit la parole d’Allah :
فَاسْأَلُواْ أَهْلَ الذِّكْرِ إِن كُنتُمْ لاَ تَعْلَمُونَ
« Demandez donc au gens du rappel si vous ne savez pas »[5].
On déduit de ce verset que les musulmans sont divisés en deux catégories :
Les savants et les non-savants. Et Allah a imposé aux uns ce qu’il n’a pas imposé au autres.
Il a imposé aux non-savants d’interroger les savants et il a imposé aux savants de ne pas cacher leur science mais au contraire de l’exposer à la seconde catégorie.
Donc, de tout temps, la communauté est constituée de savants et de non-savants. Ceci est confirmé par le verset précédent.
Il n’est pas demandé à tous les musulmans d’étudier la science sauf ce qui est nécessaire.
Exemple : il y a une grande différence entre connaître les conditions de la prière (chourout), les piliers de la prière (arkân) et connaître les règles du hajj et de la zakat.
Chaque musulman doit prier, donc connaître la façon de prier, chaque musulman doit jeûner donc connaître la façon de jeûner tandis que la zakat et le hajj il n’est pas demandé à tout le monde de les connaître sauf si il est riche et capable d’aller au hajj.
Par contre la science au sens large comme la science du tafsir, du fiqh n’est obligatoire que pour une petite partie de la communauté.
Ceci est connu par tous, donc ta question n’est pas opportune car il n’est pas obligatoire pour tout musulman d’étudier la science.
Q : « Mais si il questionne un des savants et que celui-ci lui répond avec des arguments, est il obligé de faire un effort pour comprendre les arguments ? »
Oui, mais j’ai fait une distinction en disant : s’il est capable de comprendre alors il compare, il pèse les deux avis et je pense que tu te rappelles de l’exemple : un tel a dit sur un sujet : « ceci est mon opinion » et l’autre a un avis contraire sauf qu’il expose pour le justifier un verset du Coran. Est-ce que celui qui a posé la question a besoin d’être un savant ?
Le questionneur : « Afin qu’il comprenne le verset ? »
Le verset, barakallahou fîk, c’est le savant qui va le lui expliquer, mais moi je résume la réponse et je dis que le premier savant n’a pas exposé de preuves ; il s’est contenté de dire « ceci est mon avis » tandis que le deuxième savant dit : « Allah a dit , Le prophète a dit ».
Je ne dois pas systématiquement m’imaginer que le musulman ordinaire (‘âmmi) ne comprend pas le verset ou le hadith, il se peut qu’il le comprenne. Et si il ne le comprend pas alors le savant doit le lui expliquer. Il s’appuie sur le savant pour comprendre l’argument.
Donc je disais que le 1er savant n’avait rien fait d’autre qu’exposer son opinion (sans preuve) alors que l’autre s’est appuyé sur le Coran et la sounnah.
On ne doit donc pas se diriger vers la question posé qui affirme implicitement que chaque musulman doit apprendre la science au sens large du terme (tafsir, fiqh, hadith…) pour être capable de comprendre le coran et la sounnah.
Le questionneur : « Si les deux savants présentent des preuves, comment juger entre l’un et l’autre ? »
Il ne lui est pas demandé de pouvoir le faire. Tu dois seulement faire un effort de réflexion (ijtihad) qui soit en accord avec tes capacités.
Tu es le plus à même de te juger, que tu sois un parfait illettré ou un étudiant en deuxième année, ou bien en maîtrise ou en doctorat ; Il y a plusieurs niveaux chez les gens, ce n’est pas parce qu’une personne à un diplôme en doctorat ou une maîtrise qu’il est un faqih ou un mouhadith, non, mais il a une culture générale qui lui permet de comprendre ce que lui expose le savant.
Ce docteur n’a rien à voir avec le parfait illettré. Si on expose à l’illettré les mêmes preuves qu’on a exposées au docteur, que doit-il faire ?
Il doit faire un effort de réflexion (ijtihad) , quel que soit cette effort, il doit correspondre à ses capacités.
L’ijtihad ici n’est pas un ijtihad scientifique (fî l’ilm).
Exemple :
1) L’illettré est confronté à deux savants, l’un est connu pour sa science et est pieux, tandis que l’autre, il ne le connaît pas. Dans ce cas il n’a pas besoin de connaître le Coran et la Sounnah ; son cœur se tranquillise dans le fait de suivre le savant connu et pieux.
2) Les deux savants sont connu et sont pieux sauf que l’un est âgés, il a vieilli dans la science, tandis que l‘autre est jeune, son cœur se tranquillise en choisissant le 1er etc…
L’essentiel, comme je l’ai dit précédemment, est qu’il fasse un effort de réflexion pour que son cœur se tranquillise et qu’il ne soit pas une personne indécise (sans opinion, qui ne tranche pas « i’mat »). Il n’a pas besoin d’avoir de la science. Et là il a fait son devoir !
Les compagnons du prophète agissaient comme cela. Lorsqu’ils recevaient une fatwa provenant d’une autre personne que celle qu’ils avaient l’habitude de consulter, il la prenait en compte. Mais la différence est qu’à l’époque les moyens de communication ne permettaient pas à la science de parvenir en un laps de temps bref, cela se comptait en années. Et c’est pour cette raison qu’aujourd’hui nous avons ce problème : avant il se passait plusieurs années entre la réponse du premier savant et celle du deuxième, tandis qu’aujourd’hui, en un instant, tu as les avis provenant des quatre coins du monde. Donc la solution pour le commun des musulmans est ce que l’on a évoquée auparavant.
[1] Traduction tirée d’une cassette.
[2] S11 V118-119.
[3] S30 V31-32
[4] il veut dire qu’il ne faut pas être un mouton qui suit n’importe qui mais qu’il faut utiliser son intelligence afin de distinguer le mal du bien.
[5] S16V43