La discrimination envers les personnes obèses se retrouve dans toute notre société, et les médecins n’en sont pas exempts. Avant même d’évoquer l’aspect social, les obèses sont parfois mal reçus par leurs docteurs simplement pour des raisons pratiques : le matériel n’est pas toujours adapté, qu’il s’agisse des balances ou des appareils pour mesurer la pression artérielle. La consultation médicale est alors rendue plus compliquée pour le médecin.
Ainsi, ces résultats obtenus à travers l’observation de 39 médecins généralistes et de 208 de leurs patients n’ont rien d’étonnant : les praticiens véhiculent eux aussi les stigmatisations et les discriminations qu’on observe dans les autres dimensions de notre vie sociale. D’autres études ont déjà mis en avant cette attitude. Mais la particularité des discours médicaux est l’aura qui leur est accordée par le patient obèse :
"Si le docteur le dit, c’est que c’est vrai."
Non seulement certains discours ou pratiques médicales peuvent ainsi être contreproductifs en termes de soins, mais ils contribuent à ancrer chez le patient un regard dévalorisant ou culpabilisant. Les personnels médicaux ont donc un rôle particulier à jouer dans la lutte contre les discriminations et les stigmatisations dont les obèses sont victimes.
Chacun a le corps qu’il mérite, un préjugé répandu
Beaucoup de discours stigmatisants proviennent en effet d’une lecture faisant de l’obésité une simple équation entre alimentation et activité physique. La personne obèse serait simplement quelqu’un qui mange trop et ne se dépense pas assez. Elle serait ainsi responsable de sa situation et n’aurait qu’à modifier son comportement pour que cela change. Cela rejoint l’idée, largement répandue dans nos sociétés contemporaines, que chacun a le corps qu’il mérite. Or, de cette responsabilisation de son corps à la culpabilisation, il n’y a qu’un pas.
Comme le répète Arnaud Basdevant, le président du Plan Obésité, il n’y a pas une obésité mais des obésités. Il existe plusieurs trajectoires qui mènent à l’obésité, comme il y a plusieurs types d’obésité. Cela peut dépendre du milieu social, qui valorise tel ou tel type d’alimentation depuis l’enfance, ou encore s’expliquer par des raisons hormonales.
Nous partageons dans nos cultures l’idée que, dans une certaine mesure, l’apparence révèle qui vous êtes à l’intérieur. Dès l’enfance, les enfants qui regardent un dessin animé savent distinguer le gentil du méchant, la laideur étant associée à un certain nombre de défauts. De même, dans nos sociétés, on relie des caractéristiques physiques à des stéréotypes psychologiques : la grande taille révèlerait une aptitude à commander. Pendant longtemps, il y a eu une taille minimale pour accéder aux postes de commandements dans l’armée ; et aujourd’hui, en France, plus un homme est grand, plus en moyenne son salaire est élevé.
Ainsi, l’image du bon gros jovial et de l’obèse qui se laisse aller est très répandue dans notre société. Et, inconsciemment, on continue de lier cette caractéristique physique à des traits psychologiques. Ces représentations du corps sont même souvent incorporées par les personnes obèses : elles intériorisent ces normes et se dévalorisent elles-mêmes.
La minceur apparaît comme un diplôme supplémentaire
Ces préjugés sociaux ont beau évoluer au cours du temps – le seuil à partir duquel on est considéré comme obèse a ainsi fortement diminué au fil des siècles –, la médicalisation de l’esthétique, qui conduit à amalgamer apparence et santé, accentue la pression sur la corpulence. Des personnes sans aucun problème de santé cherchent à perdre du poids.
La minceur représente par exemple pour les femmes une sorte de diplôme supplémentaire, qui est reconnu financièrement par le marché du travail et permet de trouver un emploi plus facilement, ou mieux payé. Le corps n’est en aucun cas neutre dans nos relations les uns avec les autres et nous lisons des choses sur le corps des autres qui vont bien au-delà de l’apparence.
Preuve que ces préjugés sont construits, c’est qu’ils touchent de manière différenciée les deux sexes : les discriminations sont en effet plus fortes sur le corps des femmes. Autant la corpulence élevée d’un homme peut être valorisée et reliée à la force (tandis qu’un homme en sous-poids peut être vu comme un gringalet), autant une femme bien en chair est mal perçue.
Derrière ces différences du corps il y a un positionnement social. Il y a 100 ans, la corpulence signalait une certaine aisance par opposition aux pauvres ou aux malades, plus minces. Émile Zola, par exemple, a bien décrit dans son roman "Le ventre de Paris" cet enjeu social de la corpulence dans le Paris des Halles du XIXe siècle, où prendre du ventre était synonyme de richesse. Aujourd’hui, c’est la minceur qui témoigne d’un statut social élevé.
C’est sur ce point qu’il faut insister : ces normes varient selon les époques ou encore les cultures. La beauté n’est pas un critère absolu et, au fil des siècles passés, peu de sociétés ont valorisé la minceur comme idéal de beauté féminine. Si aujourd’hui même le corps médical a du mal à dissocier l’obésité des représentations du corps désirable, c’est bien parce que, dans notre société, on peine à se détacher du règne de la minceur et de l’idée que nous serions responsables de nos corps, tant en termes esthétiques que de santé.
Propos recueillis par Daphnée Leportois.