LE QUATRIEME QUART
Le Quart sur ce qui sauveLe livre du Tawhid, du Tawakkul et de sa vertu
كتاب التوحيد والتوكلLes œuvres de ceux qui assument le tawakkul : a'mâlu l-mutawakkilînCertains pourraient penser que le tawakkul signifie le fait de renoncer au gagne-pain avec le corps, de s'abstenir d'être régi par le cœur et de tomber par terre comme un chiffon ou comme un morceau de viande sur l'étal du boucher. Ceci constitue la croyance des ignorants et elle est interdite par la loi religieuse. Car celle-ci a loué les mutawakkilûn (ceux qui s'en remettent à Allah).
C'est dire que l'effet du tawakkul n'apparaît qu'à travers le mouvement du serviteur et sa démarche vers ses buts et ses desseins. Or la démarche du serviteur s'effectue soit pour apporter un profit manquant comme dans le travail et le gagne-pain, soit pour préserver ce qui existe comme dans l'épargne, soit pour repousser un dommage comme lorsqu'on repousse un animal farouche, soit pour éliminer un mal déjà arrivé comme le fait de se soigner contre une maladie. Donc, les mouvements du serviteur s'inscrivent dans ces quatre cadres :
Le premier cadre : le fait d'apporter des profits et des intérêts : Nous disons que les moyens qui permettent d'apporter des profits sont au nombre de trois. L'un d'eux est tout à fait évident, comme les causes et les effets et tout le principe de causalité qui sont décrétés par Allah - تعالى -. Donnons en un exemple : Tu as devant toi de la nourriture et tu as faim. Mais tu ne te tends pas ta main vers cette nourriture et tu affirmes : Je suis Mutawkkil (je m'en suis remis à Allah) ; la condition du tawakkul, c'est de cesser d'agir, or le fait de tendre la main est un agissement et il en est de même du fait de mâcher la nourriture et de l'avaler ! C'est de la pure folie et cela n'a rien à voir avec le tawakkul. Car si tu attendais que Allah - تعالى - crée en toi une satiété sans avoir mangé ou fasse mouvoir la nourriture jusqu'à toi, ou prépose un ange pour te mâcher et la faire parvenir jusqu'à ton estomac, tu ferais preuve d'ignorance à l'égard de la loi immuable d'Allah. De même si tu ne sèmes pas et que tu t'attendes à ce que Allah - تعالى - fasse pousser des épis sans semis, ou que l'épouse enfante sans rapports, tout ceci c'est de la folie. Le tawakkul, à ce niveau, ne consiste pas à abandonner l'action, mais à s'en remettre à Allah par la science et par l'état du cœur.
Pour ce qui est de la science, elle consiste en ceci : Que tu saches qu’Allah - تعالى - a créé la nourriture, la main, les causes efficientes, la puissance du mouvement et que c'est Lui qui te nourrit et t'abreuve.
Pour ce qui est de ton état, c'est que ton cœur et ton appui se fondent sur la faveur de Allah - تعالى - et non pas sur la main et sur la nourriture, car il se peut que ta main se paralyse et cesse d'agir, ou qu’ Allah lâche contre toi celui qui te prive de cette nourriture. Autrement dit, le fait de tendre la main à la nourriture ne contredit pas le tawakkul.
Le deuxième moyen se rapporte aux causes dont les effets ne sont pas tout à fait sûrs, comme dans le cas de celui qui quitte les zones d'habitations pour s'engager dans des étendues désertiques qui ne sont fréquentées que très rarement par les hommes, sans prendre avec lui de provision. Un tel homme est semblable à quelqu'un qui veut mettre Allah - تعالى - à l'épreuve. Son attitude est interdite et il est tenu de prendre des provisions avec lui. En effet, l'Envoyé d’Allah - صلى الله عليه وآله وسلم - a voyagé avec des provisions et il a pris un guide pour se rendre à Médine.
Le troisième moyen consiste à s'en tenir aux causes dont on croit qu'elles aboutissent à leurs effets, sans qu'il y ait certitude évidente, comme celui qui scrute les détails subtils à propos du travail et de ses formes. Si son but est louable et si son action n'outrepasse pas le cadre de la loi religieuse, il ne quitte pas le tawakkul. Mais il risque de succomber à la cupidité s'il recherche du surplus.
Cela dit, le fait de délaisser le travail et le gagne-pain n'a rien à voir avec le tawakkul, car c'est l'attitude des oisifs et des paresseux qui préfèrent le repos en arguant le tawakkul. 'Umar - رضى الله عنه - disait : «
Le mutawakkil est celui qui sème le grain dans la terre puis s'en remet à Allah. »
Le deuxième cadre : il consiste à s'opposer aux moyens habituels du gagne-pain en épargnant. Ainsi celui qui trouve une nourriture licite qui lui évite les soucis du gagne-pain et qu'il épargne, cette attitude ne le fait pas exclure du tawakkul, surtout s'il a une famille à nourrir. Il est dit, dans les deux recueils authentiques, d'après le Hadîth transmis par 'Umar ibn al-Khattâb - رضى الله عنه - que le Prophète - صلى الله عليه وآله وسلم - vendait les dattes de la palmeraie de Banû al-Nadhr et réservait les revenus de cette récolte à la nourriture de sa famille pour une année.
Si l'on dit que l'Envoyé d’ Allah - صلى الله عليه وآله وسلم - a interdit à Bilâl d'épargner, la réponse consiste à dire que les compagnons pauvres étaient pour lui comme des invités, de sorte que s'ils se mettaient à épargner, ils risquaient de connaître la faim. Mais dire que l'état spirituel de Bilâl et de ses semblables parmi les gens de la Suffa (Parvis de la mosquée de Médine où ils vivaient) impliquait l'absence de l'épargne, et que, s'ils divergeaient par rapport à cet état, le reproche porterait sur la fausse prétention relative à leur état spirituel, et non pas sur l'épargne licite.
Le troisième cadre : entreprendre les moyens qui repoussent le dommage.
Le tawakkul n'a pas pour condition d'abandonner les moyens qui repoussent le dommage. Ainsi, il n'est pas permis de dormir dans un endroit rempli de fauves et de bêtes sauvages ou dans le lit d'un fleuve ou sous un mur en ruine. Tout ceci est interdit. De même, le tawakkul ne contredit pas le fait de porter une armure, ou de fermer la porte, ou d'attacher le chameau. Allah - تعالى - a dit :
{
Qu'ils prennent leurs armes ! }
[Qu'rân : 4-102]
{
وليأخذوا أسلحتهم }
« Un homme est venu voir le Prophète - صلى الله عليه وآله وسلم - et lui a demandé : « Ô Envoyé d’ Allah ! Dois-je attacher la chamelle puis m'en remettre à Allah ou dois-je la lâcher et m'en remettre à Allah ? Il lui a dit : attache-la et remets-toi à Allah ! » Donc, le serviteur compte en tout cela sur le Maître des causes, et non pas sur les causes, en étant satisfait de tout ce qui sera décrété par Allah à son encontre. S'il lui arrive, lorsqu'on lui vole ses biens, de se dire que s'il avait pris ses précautions, il ne serait pas volé, ou s'il se plaint de ce qu'il lui arrive, il montrera son éloignement par rapport au tawakkul. Qu'il sache que l'Arrêt divin est pour lui comme le médecin : s'il lui présente la nourriture, il se réjouit et se dit : s'il ne savait pas que la nourriture m'est bénéfique il ne me la présenterait pas, et si le médecin l'en empêche il se réjouit et se dit : s'il ne savait pas que la nourriture m'est nuisible il ne me l'interdirait pas.
Sache également que tout homme qui ne croit pas à la bienveillance de Allah - تعالى - autant qu'un malade qui croit en l'habileté du médecin attentif, son tawakkul n'est pas valable. Si ses biens sont volés, il accepte le décret et ne poursuit pas le voleur par bonté envers les musulmans. On raconte qu'un homme s'était plaint à un savant des brigands qui se sont emparés de ses biens. Le savant lui dit : si ton attristement pour la décadence des musulmans n'est pas plus fort que ton attristement pour la perte de tes biens, tu n'as pas été d'un bon conseil envers les musulmans.
Le quatrième cadre : s'employer à éliminer le mal, comme le fait de soigner une maladie et ainsi de suite.
Sache que les causes qui éliminent le mal sont de trois sortes.
*Premièrement celles qui sont évidentes comme l'eau qui élimine le danger de la soif ou le pain qui élimine le mal de la faim. L'abandon de ce genre de causes n'a rien à voir avec le tawakkul.
*Deuxièmement, celles qui sont présumées, comme la saignée, la prise de purgatifs et ainsi de suite. Ceci ne contredit pas le tawakkul. En effet, l'Envoyé d’ Allah - صلى الله عليه وآله وسلم - s'est soigné et a ordonné qu'on se soigne. De même beaucoup de musulmans se sont soignés, mais d'autres se sont abstenus par tawakkul. On rapporte qu'on a dit à Abu Bakr As-Sidîq - رضى الله عنه -: veux-tu qu'on t'emmène un médecin ? Il a répondu : Le Médecin m'a vu ! On lui a demandé : qu'est-ce qu'il a dit sur ton mal ? Il a répondu : Il a dit : Je Suis Celui qui, par Excellence, fait ce qu'il veut. L'auteur de l'Ihyâ - رحمه الله - ajoute : Nous soutenons que se soigner est Meilleur. Et on interprétera l'attitude d'Abû Bakr - رضى الله عنه - comme ceci : soit qu'il s'est soigné et qu'il a arrêté en jugeant qu'il avait fait ce qu'il lit, soit qu'il savait, sur la base de signes clairs, que son terme était proche.
Sache que les médicaments sont des moyens rendus possibles, grâce à Allah - تعالى -.
*Troisièmement : que l'effet soit imaginaire, comme dans le recours à la cautérisation par le feu. Ceci fait sortir du tawakkul parce que le Prophète - صلى الله عليه وآله وسلم - a décrit ceux qui s'en remettent à Allah par le fait qu'ils ne recourent pas à la cautérisation par le feu. D'ailleurs, certains savants estiment que cette indication sur la cautérisation dans le Hadîth renvoie à une pratique que les gens suivaient dans la Jâhiliyya (période anté-islamique). En effet, les gens de cette époque recouraient à la cautérisation et s'efforçaient de devenir mince pendant qu'ils étaient en bonne santé pour éviter de tomber malade, tandis que le Prophète - صلى الله عليه وآله وسلم - recourait à la protection au moyen des versets du Qu'rân après l'arrivée du mal. D'ailleurs, on rapporte que As'ad ibn Zarâra - رضى الله عنه - a eu recours à la cautérisation.
Pour ce qui est de la plainte du malade, elle est bien gênante. En effet, les anciens détestaient les gémissements du malade parce qu'ils traduisaient sa plainte. Ainsi, al-Fudhayl disait : « Je souhaite une maladie sans visiteurs. »
Un homme a demandé à l'Imam Ahmad ibn Hanbal : « Comment vas-tu ? » Il dit : « Bien. » L'homme lui a demandé : « Tu as eu de la fièvre hier soir ? » L'Imam Ahmad lui dit : « Si je te dis : Je vais bien, ne m'oblige pas à dire ce que je n'aime pas. »
En revanche, lorsque le malade décrit pour le médecin ce qu'il ressent, cela ne lui nuit pas. C'est d'ailleurs ce que faisait un ancien pieux (As-Salaf) en ajoutant : Je ne fais que décrire le pouvoir d’Allah sur moi ! On imagine également que le maître puisse le faire devant son élève pour le raffermir dans les moments de difficultés et lui faire comprendre que c'est un bienfait qui mérite une action de grâce, sans que cela soit une plainte.
Du reste, nous rapportons que le Prophète - صلى الله عليه وآله وسلم - a dit : « Il m'arrive d'être malade et de souffrir comme deux hommes parmi vous ».