Excellente question.
il faudrait les appeler et leur poser la question...en anglais ou en turc (je sais qu'il y a une soeur turque sur le forum :))
http://www.ibb.gov.tr/sites/ks/fr-FR/1-Gezi-Ulasim/kutuphaneler/Pages/labibliotheque-dumusee-dupalais-detopkapi.aspx
Je viens de voir ceci mais je ne l'ai pas lu en entier, je vous le poste quand même, en espérant qu'il n'y ait pas de bêtises écrites. je le lirai tout à l'heure inchaAllah. bonne lecture.
"Voyages aux sources du Saint Coran""En vérité c’est Nous qui avons fait descendre le Coran, et c’est Nous qui en sommes gardien". (S.15, V10)
Tout a commencé par la publication, le 20 décembre 2000 sur Oumma.com, de la version française d’un article publié au préalable dans le quotidien britannique « The Gardian ». L’article était intitulé « Le Coran revisité par la philologie : des manuscrits ’Satanique’ ? (Traduction : Courrier International) par Abul Taher du Quotidien Anglais "The Guardian" » (http://oumma.com/article.php3 ?id_article=501)
Cet article comportait des affirmations graves concernant les sources du Coran, relayées par un scientifique allemand nommé Gerd Rudiger Puin, qui visaient à remettre en question la croyance des musulmans de posséder le texte original du Saint Coran en arabe.
Piqué au vif, j’avais publié sur le site une première réaction. Puis je m’étais attaché à tester la valeur scientifique des affirmations du professeur Puin pour découvrir une authentique supercherie, un travail de désinformation visant à faire douter les croyants de la véracité du dogme musulman.
J’achevais mes recherches sur le professeur Puin par la publication d’un article intitulé : « "Le Coran revisité par la philologie : des manuscrits ’Sataniques’ ?" Histoire d’une imposture. » (http://oumma.com/article.php3 ?id_article=163)
Au-delà des manipulations sordides auxquelles s’était prêté les auteurs du premier article, il restait une question importante pour moi : en l’état actuel des connaissances humaines, quelles sont les chances scientifiques de l’authenticité du texte coranique que les musulmans récitent dans chacune de leurs prières ?
Je tiens à préciser que je ne me considère pas comme un spécialiste, ni du Saint Coran, ni de l’islam, encore moins des langues sémitiques, de la paléographie ou de la codicologie ! Je ne suis qu’un simple musulman, chercheur amateur, disposant d’un petit bagage scientifique que m’ont conféré mes études de médecine.
Cette modeste publication n’a donc certainement pas la prétention d’être un article scientifique. Il ne s’agit que d’un simple texte de vulgarisation qui n’a rien d’exhaustif, rendant compte de mes doutes et de mes découvertes à l’occasion d’une formidable aventure que j’ai vécue ces dernières années.
Je tiens également à souligner que les croyances religieuses, notamment des religions monothéistes et les connaissances scientifiques font rarement bon ménage : d’un côté la croyance est basée sur une conviction intime de l’existence de Dieu, Créateur de l’univers, Maître du Jour du Jugement Dernier, de l’autre les connaissances scientifiques sont, ou devraient être basées sur des constatations physiques soumises à des hypothèses réfutables confirmées par leur confrontation constante à la réalité.
C’est ainsi que les connaissances scientifiques évoluent au cours du temps et des outils que se forgent les chercheurs, alors que le dogme fondamental de la croyance, et en particulier la croyance monothéiste, n’évolue pas dans son essence en fonction du temps.
Le risque de confrontation entre « la science » et « la croyance » est encore accru en ce qui concerne l’islam dans la mesure où la plupart des scientifiques chargés d’étudier cette religion sont des non-musulmans, que leurs commanditaires n’ont pas que des visées purement philosophiques et que le monde musulman subit à l’heure actuelle la domination politique, technologique et médiatique du monde occidental.
Aperçu de la compilation du Coran selon la tradition musulmane
Du côté des musulmans, il existe une très longue tradition d’études approfondies sur les sources du Saint Coran, la manière dont il a été révélé puis compilé, la manière dont il est ensuite parvenu jusqu’à nous. Les sanctuaires de la tradition musulmane se trouvent actuellement pour les sunnites, au Caire, à Fez, à Damas, à Riad, à Istanbul, pour les chiites à Qom, à Machhad, à Nadjaf et à Karbala. Les amateurs de références modernes pourront utilement se reporter à l’article d’Abdelhamid BELHADJ HACEN, Docteur en linguistique (université Lille 3) « Le Coran, entre histoire et écriture » (oumma.com/article.php3 ?id_article=95).
Pour résumer, la tradition musulmane nous rapporte qu’avant l’arrivée du dernier des Prophètes (S.W.S.), la péninsule Arabique parlait différents dialectes arabes, proches les uns des autres. L’écriture était connue et pratiquée par une minorité de lettrés riches, que ce soit chez les Juifs, qui possédaient des rouleaux de la Thora, les Chrétiens qui possédaient des Évangiles écrits ou les païens qui notaient par écrit les poèmes les plus fameux. Mais, probablement du fait du prix prohibitif des supports (parchemins ou papyrus), le mode principal de transmission des savoirs de cette époque n’était pas l’écriture.
Les sociétés arabes du septième siècle de l’ère chrétienne étaient de tradition orale. Cette tradition prenait une importance considérable, elle vivait au travers d’immenses poèmes de plusieurs milliers de vers chacun, chansons de geste relatant les mythes fondateurs, les batailles, les héros, les mariages, les joies et les peines de chacune des tribus de la péninsule arabique.
Ces poèmes transmis de génération en génération tenaient la place que prennent notre radio, notre télévision et notre presse actuelle. On peut également imaginer que les poètes tenaient le rôle social de nos grands intellectuels ou de nos grands journalistes contemporains.
Toujours est-il qu’avant même le début de la mission prophétique de Mohammed Ibn Abdallah (S.W.S.), les traditions tribales étaient favorables à la transmission orale d’un ouvrage comme le Saint Coran. C’est ainsi que les premiers croyants n’eurent aucun mal à mémoriser par cœur les milliers de versets au fur et à mesure de la révélation.
Cependant, de nombreux hadiths (traditions prophétiques) sahihs (sûrs) nous relatent le fait que le Prophète de l’islam (S.W.S.), lui même illettré, insista dès le début de la révélation pour que les versets révélés, la parole de Dieu, soient immédiatement transcrits par les témoins de la révélation, par écrit sur un support quelconque. À l’inverse, le Prophète (S.W.S.) interdisait à ses compagnons de prendre note par écrit de ses propres paroles de manière à ne pas les confondre avec la révélation divine.
Cette retranscription contemporaine par écrit est suggérée par le Coran qui parle, à propos de lui-même « du Livre » (Al Kitab), de « feuilles purifiées » (Souhoufoun Mutahara). La tradition musulmane rapporte plusieurs références à cette transcription écrite contemporaine de la révélation : c’est par exemple l’histoire de la conversion de Saïdna Omar qui, furieux que son beau-frère cherche à protéger de lui des pages sur lesquelles étaient des versets, tombe émerveillé par la beauté du texte.
On rapporte également l’existence, à la fin de la révélation, de plusieurs compilations privées complètes dont une, annotée de commentaires, détenue par Setna Aïcha, la mère des croyants. Mais en marge de ces transcriptions « privées », le Prophète (S.W.S.) pris soin de s’entourer dès les premiers temps de la révélation de scribes chargés de la transcription du précieux message coranique.
Le phénomène de la révélation étant épisodique et imprévisible, les scribes se relayaient auprès du Prophète (S.W.S.). La compilation de l’ouvrage ne suivant pas un ordre chronologique, le Prophète indiquait au fur et à mesure aux scribes la place des versets nouvellement révélés. L’ensemble du Coran déjà révélé était récité en entier par le Prophète (S.W.S.) à l’occasion des prières du mois de Ramadan. Lors de son dernier mois de Ramadan, le Prophète (S.W.S.) le récita deux fois en entier, certains compagnons en déduirent l’annonce de sa disparition prochaine.
C’est ainsi que l’ouvrage en cours de révélation pouvait être vérifié par l’ensemble des croyants qui assistaient à ces prières particulières au premier rang desquels les scribes officiels. Le travail des scribes allait aboutir à la compilation « institutionnelle » du Coran sous la houlette du chef des scribes du Prophète (S.W.S.), Zaïd Ibn Thabit.
ZAÏD IBN THABIT, LE CHEF DES SCRIBES
Zaïd Ibn Thabit avait aux alentours de seize ans lorsqu’il fut recommandé au Prophète (S.W.S.) pour entrer à son service. Trois ans auparavant, il avait vainement essayé de s’enrôler dans le premier corps expéditionnaire musulman qui se préparait pour la bataille de Badr. Il en avait été empêché par le Prophète (S.W.S.) qui le considérait comme trop jeune. Sa deuxième tentative, l’année suivante pour la bataille de Uhud s’était également soldée par un échec pour le même motif.
Il avait alors décidé de mettre ses compétences intellectuelles au service de la mission prophétique en apprenant par cœur dix-sept sourates déjà révélées du Saint Coran, avec leurs différents types de prononciations. C’est en entendant sa manière de réciter le Coran que le Prophète (S.W.S.) avait décidé de le prendre à son service. Il lui avait alors assigné une mission : apprendre à lire à écrire et à parler l’hébreu, la langue des israélites, de manière à pouvoir communiquer, notamment par écrit avec eux. Il devint ainsi le traducteur officiel du Prophète lors de ses relations avec les différentes tribus juives. De même, il apprit le Syriaque.
Sa fonction de lettré lui permit d’être un des quarante-huit compagnons du Prophète (S.W.S.) qui retranscrivaient la révélation à la demande de l’envoyé de Dieu tout en continuant à l’apprendre par cœur. Ce n’est qu’après avoir constaté son sérieux, sa précision et la rigueur qu’il mettait à transcrire la révélation divine que le Prophète (S.W.S.) lui confia la charge de chef des scribes.
C’est du vivant même du Prophète (S.W.S.) qu’il commença à réunir les fragments de notes prises par d’autres à l’occasion de la révélation des versets coraniques. Il soumettait ainsi directement au Prophète le fruit de ses travaux et de ses réflexions. À la mort de ce dernier, la révélation était, logiquement pour l’époque, conservée dans le cœur de très nombreux croyants ou sur des supports épars, mais n’était pas totalement compilée dans un ouvrage unique officiel.
Abou Bakr, le premier calife de l’islam, qui succéda au Prophète (S.W.S.) en H 11, eut rapidement à faire face à l’apostasie de nombreuses tribus de la péninsule Arabique. Il s’en suivit de très nombreuses guerres d’apostasie et de nombreuses batailles. Au cours de l’une d’elles, la bataille de Yemâma, un grand nombre de compagnons du Prophète (S.W.S.), qui participaient au corps expéditionnaire furent tués. Parmi eux il y avait de nombreux "Hafiz El Coran", ceux qui avaient appris l’intégralité du Coran par cœur.
Voyant le capital de ceux qui avaient appris le Coran par cœur du temps du Prophète (S.W.S.) diminuer, Omar conseilla au calife Abou Bakr de charger quelqu’un de compiler le livre saint par écrit. Celui-ci, après une phase d’hésitation à parachever la compilation laissée incomplète par le Prophète (S.W.S.) se tourna naturellement vers Zaïd Ibn Thabit et lui dit : « Etant donné que tu es un jeune homme intelligent, que personne ne doute de ta sincérité ni de ta mémoire, puisque tu avais l’habitude d’écrire la révélation pour l’envoyé de Dieu, je te charge de collecter tous les témoignages du Coran qui existent puis de les rassembler dans un ouvrage unique. »
Zaïd commenta cet ordre de la manière suivante : « Par Dieu, si Abou Bakr m’avait demandé de déplacer une montagne, ça m’aurait été moins difficile que d’exécuter son ordre concernant la collection du Coran. »
Il s’attela à sa tâche et regroupa tous les témoignages de la révélation : notes prises sur des parchemins, des omoplates de chameaux ou de moutons, des feuilles de palmiers, des papyrus, témoignages de ceux qui avaient appris le Coran par cœur. Il était extrêmement méticuleux et faisait très attention qu’aucune erreur, même non-intentionnelle, ne s’insinue dans le texte sacré.
La difficulté principale venait du fait qu’en prenant note de la révélation, de nombreux témoins avaient mélangé le texte de la révélation avec du commentaire de cette dernière. Zaïd rendit une première compilation au calife Abou Bakr. À la mort de ce dernier, l’ouvrage échut à son successeur, Omar, puis Hafsa, fille de Omar, mère des croyants (épouse du Prophète S.W.S.) et connaissant le Coran par cœur, en hérita.
Du temps du troisième calife Othmann , (H 23 à H 35) des différences significatives dans la prononciation lors de la récitation du texte sacré apparurent. Un groupe de compagnons du Prophète, dirigé par Hudhayfah ibn al-Yaman revenant de l’Irak s’en ouvrir au calife en le pressant de « sauver la communauté des croyants avant qu’elle en diverge sur le Saint Coran ».
Othmann récupéra alors le manuscrit du Coran de Hafsa et le confia à nouveau à Zaïd Ibn Thabit en le chargeant de présider une commission de copistes composée de : Abd-Allâh ibn Az-Zoubayr, Sa`îd ibn Al-`Âs et `Abd Ar-Rahmân ibn Al-Hârith ibn Hichâm.
Les copies furent remise au calife qui renvoya l’original à Hafsa, en garda une, que l’on appelle "Le Coran d’Othmann" et envoya les autres dans différentes provinces de l’empire musulman naissant avec ordre de détruire les autres traces écrites qui auraient pu subsister de manière à ce qu’il n’existe qu’une version du texte sacré. La tradition rapporte que le Calife Othmann fut assassiné alors qu’il lisait son propre Coran et que ce Coran serait taché de son propre sang...
Il semblerait également qu’il s’agissait de mettre le texte sacré en sécurité dans différentes métropoles de l’empire pour le préserver en cas de conquête de l’une d’elles par les ennemis de l’islam.
Les réformes orthographiques et grammaticales et les débuts de la calligraphie
Le texte était en "Rasm" pur, c’est-à-dire sans la plupart des lettres "alif", des voyelles brèves ou les points diacritiques. La calligraphie des premiers corans était très sommaire, appelé le style Higazi. Il est vraisemblable que le texte écrit n’ait, à ce stade de l’écriture, servi que de support de mémoire pour des croyants qui connaissaient déjà le Coran par cœur et qui avaient juste besoin d’un « pense-bête ». La transmission du Coran se faisait essentiellement de manière orale.
L’écriture a un tout autre rôle lorsqu’il s’agit de communiquer entre deux personnes qui ne sont pas physiquement en contact et qui ne connaissent pas a priori le contenu du message qu’ils s’échangent.
Les choses se sont encore compliquées, dans les premières années du Califat, par l’arrivée dans l’islam de très nombreux peuple qui n’étaient pas arabophones. C’est ainsi que le texte coranique qui paraissait évident à des arabes devint difficile à mémoriser pour de nombreux musulmans fraîchement convertis.
On rapporte qu’à Bassora, quelqu’un lu de manière erronée le verset 9 :3 (Allah désavoue les polythéistes. Son messager aussi) en lisant : « Allah désavoue les polythéistes et Son messager... » Ce qui montra à tous l’urgente nécessité de réformes de l’écriture arabe.
On attribue généralement à Abou al-Aswad al-Douali (père de la grammaire arabe, mort en H 69) l’invention de traits colorés pour le signalement de voyelles brèves (chakl) et l’introduction dans le texte coranique des traits diacritiques pour distinguer les consonnes (I’jam). Ce travail fut complété et affiné par le gouverneur de l’Irak Al Hajjaj Ibn Youssuf al Taquafi (mort en H 95) qui remplaça les traits diacritiques par des points groupés par un, deux ou trois au dessus ou en dessous des consonnes, permettant ainsi de les distinguer. Il rajouta également au texte coranique des voyelles longues de manière à ne plus pouvoir confondre les mots alors qu’on lisait le Coran sans en avoir appris le texte au préalable.
Les voyelles courtes colorés furent finalement remplacées par huit nouveaux signes de vocalisation (les voyelles brèves telles qu’on les connaît actuellement) par al Khalil ibn Ahmad al Farahidi grammairien et philologue arabe (mort en H 169), permettant ainsi d’écrire de manière complète en n’utilisant qu’une couleur d’encre.
La calligraphie arabe ne commença à être codifiée qu’à partir de la création de la ville de Koufa en Irak dont la construction commença en H 17 et s’acheva en H 63. Son développement en tant que foyer d’érudition suscita la création d’un nouveau style d’écriture : l’écriture coufique qui donna lieu à de très nombreuses sous classes.
C’est Abou Ali Ibn Moqlah (mort en H 328) qui paracheva les règles de la calligraphie arabe en se fixant comme tâche de dessiner une écriture cursive qui soit à la fois belle et parfaitement proportionnée. Il aboutit à une méthode d’écriture, baptisée al-Khatt al-Mansob qui est à la base d’une grande partie des écritures arabes modernes.
Ainsi, c’est que par la simple connaissance des dates des réformes orthographiques et grammaticales et en analysant les styles d’écriture, on peut dater, avec de bonnes chances de succès, les manuscrits anciens et en particulier les manuscrits coraniques : si le manuscrit inclus la réforme de l’écriture datée, on peut être certain qu’il est postérieur à l’adoption de cette réforme !
A suivre...
suite...
Le Coran du musée du Palais du Topkapi à Istanbul (Turquie)
La plupart des musulmans considèrent que l’original othmanien de la vulgate coranique (Le Coran d’Othman) est conservé au musée du Palais du Topkapi d’Istanbul. Il se trouve que j’avais eu l’occasion de faire une visite approfondie de ce merveilleux palais au cours de l’été 2000 en compagnie d’un ami conservateur de ce musée.
J’avais pu constater que le "Coran d’Othmann" ne s’y trouvait pas exposé. Interrogé sur ce fait mon ami m’avait répondu que, pour des raisons de conservation du précieux manuscrit, il n’était exposé que durant le mois sacré de Ramadan, et encore, pas chaque année. Rendez-vous avait été pris pour le ramadan suivant.
En préparation de ce rendez-vous exceptionnel, il était utile de m’interroger sur la provenance historique de ce manuscrit. Selon la tradition ottomane, cet original du Coran arriva à Istanbul sous le règne du Sultan Yavuz Selim avec d’autres reliques considérées comme les signes du Khalifat musulman.
Sultan Yavuz Selim (Yavuz 1er) était l’un des fils du sultan turc Bayazid le second. Né en 1470 après J.C. (H 875), il était d’une forte stature. Il est éduqué par les meilleurs maîtres musulmans de l’empire ottoman et est nommé gouverneur de Trabzon par son père pour parfaire sa connaissance dans l’administration de l’empire et des arts de la guerre.
L’incapacité de son père de défaire ses ennemis menaçant l’empire à l’Est, les Saffavides d’Iran, entraîne une féroce guerre de succession entre les cinq prétendants au trône dont Yavuz Selim sortira finalement victorieux en accédant au sultanat en 1512 (H 918).
La première obsession de Yavuz 1er est de reprendre l’œuvre de son père et de réduire les Saffavides. Il attaque l’Iran et les défait à la bataille de Chaldiran en 1514. Ses ennemis s’allient alors avec les rois Mamelouks d’Egypte pour le combattre. Pour contrer cette alliance menaçante, Yavuz 1er attaque l’armée mamelouk qu’il défait à la bataille de Mercidabik en 1516 ouvrant ainsi à son armée la route de la Syrie et de la Palestine.
Abandonnant momentanément ses ennemis traditionnels iraniens, Yavuz 1er décide de profiter de l’occasion pour renverser les Mamelouks. Le Caire tombe en janvier 1517, le dernier Calife, Al Mutawakil, abdique en faveur de Yavuz 1er du titre de Calife, Commandeur des croyants, Protecteur des lieux saints, le 11 Sha’ban 923 de l’Hégire (29 août 1517).
C’est à cette occasion que le "Coran d’Othmann", accompagné du sabre, du manteau, de dents et de poils de barbe du Prophète (S.W.S.), est rapatrié de La Mecque à Istanbul.
C’est donc avec une certaine fébrilité que je m’envole, en décembre 2000, à l’occasion du mois sacré de Ramadan H 1421, pour un week-end studieux à Istanbul. J’avais auparavant vérifié par téléphone que le Coran que je souhaitais voir était bien exposé.
À peine arrivé, je me précipite au Topkapi et je me retrouve bien devant ce livre magnifique écrit en écriture coufique. Le problème est qu’il est interdit de prendre des clichés et que je ne suis pas suffisamment instruit pour dater ce type d’écriture.... Heureusement, nous sommes en Orient, avec un peu d’insistance et de persuasion, un des conservateurs m’invite, tout à fait officieusement, à revenir le lendemain matin très tôt, avant l’ouverture au public de manière à prendre les photos que je souhaite.... L’image est dans la boîte et je reviens en France montrer à mes amis le résultat de mes investigations.
Ces musulmans pieux ayant reçu la meilleure éducation religieuse sont formels : le texte photographié par mes soins à Istanbul n’est pas écrit en Rasm pur de style Higazi, ce que l’on pourrait attendre de la vulgate othmanienne, il n’est même pas écrit en écriture coufique primitive ! La présence de formes consonantique condensées signe une écriture coufique évoluée datant au mieux du deuxième siècle de l’Hégire ce qui donne raison aux historiens modernes qui datent ce codex de la fin du huitième siècle de l’ère chrétienne.
Le Coran actuellement conservé par le musée du Palais du Topkapi à Istanbul n’a donc que très peu de chance d’être, comme la plupart des musulmans le croient, l’original du Coran d’Othman... Dès lors, on peut douter que l’on dispose encore de l’original complet du texte coranique accessible au public. Je me replonge dans mes chères études à la recherche d’une vérité plus complexe que la croyance populaire.
Quelques connaissances scientifiques sur la datation des corans anciens, l’affaire du palimpseste de Sanaa.
À peine revenu d’Istanbul, la version française de l’article du Gardian sur les travaux de Puin est publiée sur notre site internet favori. J’y vois un clin d’œil providentiel m’incitant à approfondir mes connaissances dans ce domaine. Pour répondre à cet article, je me plonge dans les travaux des scientifiques occidentaux. Il est question de fragments de corans anciens détenus à Londres ou à Tachkent (Ouzbékistan), comme étant les plus anciens corans du monde.
Je découvre avec étonnement que le professeur Puin ne se base pas sur ses propres observations scientifiques mais reprend à son compte les hypothèses de chercheurs occidentaux qui avaient débuté au dix-neuvième siècle par les publications d’Ignaz Goldziher remettant en cause l’historicité des hadiths considérés comme "Sahihs"(sûrs).
Ces hypothèses sont reprises au vingtième siècle par Joseph Schacht, John Wansbrough et enfin Michael Cook, Patricia Crone et Martin Hinds qui repoussent la mise au point de la version canonique du texte coranique à une période bien postérieure à la disparition du Prophète de l’islam (S.W.S.) et même des quatre premiers Califes.
Leurs théories visent à remettre radicalement en question la version musulmane de la transmission coranique, mais elles manquent cruellement de preuves scientifiques, comme des textes datables, pour être étayées... Car les écrits arabes anté-islamiques et qui nous sont parvenus sont extrêmement peu nombreux : quelques inscriptions monumentales gravées dans la pierre, quelques fragments de parchemin contenant des textes administratifs... Les écrits datables des premiers temps de l’islam sont également peu nombreux.
Après avoir publié mon analyse critique de l’article du Gardian sur les travaux de Puin, je m’attache à l’analyse de points de détails. L’insistance de Puin de parler de palimpsestes, ces parchemins recyclés sur lesquels était écrit un nouveau texte après avoir effacé le texte primitif me paraît suspecte dans la mesure où suivant les publications, ces palimpsestes sont très peu nombreux dans les milliers de manuscrits découverts à Sanaa.
En fait, un palimpseste particulier semblait intéresser le professeur Puin : il s’agissait d’un texte coranique très ancien, en Rasm de type Higazi, lui-même recopié sur un texte coranique encore plus ancien ensuite effacé.
Le professeur Puin pouvait légitimement supposer que le texte le plus ancien était une version coranique antérieure à la vulgate d’Othman (où à une unification postérieure selon lui, du texte canonique) qui, par souci d’économie n’avait pas été détruite conformément aux ordres, mais simplement effacé pour y recopier le texte canonique unifié....
Les méthodes scientifiques modernes permettant de révéler le texte sous-jacent, Puin pensait enfin détenir la preuve scientifique, le "chaînon manquant" qui prouverait, par ses différences flagrantes avec le texte coranique actuel, la véracité des thèses radicales de Wansbrough, Cook, Crone et Hinds... D’où l’importance des palimpsestes dans les déclarations tonitruantes de Puin.... Malheureusement pour lui, le texte coranique sous-jacent semble conforme à la version actuelle du Coran... Et on n’entend plus parler du professeur Puin !
En me renseignant sur son triste sort, j’apprends qu’à la suite de ses déclarations très polémiques mais peu scientifiques, le chercheur s’est brouillé avec les autorités yéménites. Comme il avait auparavant pris des dizaines de milliers de clichés des manuscrits de Sanaa, il est rentré en Allemagne avec ses microfilms, mais la plupart d’entre eux ont été voilés et sont donc inexploitables. Pour leur part, les autorités yéménites sont toujours demandeuses d’une coopération avec des chercheurs sérieux pour restaurer les milliers de manuscrits découverts à l’occasion de la rénovation de la grande mosquée de Sanaa.
En février 2003, j’ai la chance d’être au Hajj. Mon voisin de palier est le Grand Mufti de l’Ouzbékistan. Je l’interroge sur le codex de Tachkent, il m’affirme qu’il s’agit en effet d’un Coran très ancien qui est conservé, avec d’autres, dans le musée du centre islamique de la Grande Mosquée de Tachkent dont il est justement le directeur. Il m’invite à venir lui rendre visite et rendez-vous est pris pour l’été suivant à l’occasion de vacances familiales que je projette de passer dans la région... En raison des risques sanitaires liés à l’épidémie de S.R.A.S., je préfère reporter mon voyage en Ouzbékistan pour prendre des vacances plus sûres en Angleterre.
Surprises et tremblements à la British Library
Puisque mon itinéraire passe par Londres, pourquoi ne pas se renseigner sur le manuscrit détenu par la British Library ? Mes recherches préparatoires sur le site de la prestigieuse bibliothèque sont infructueuses. Pas de publication sur ce mystérieux manuscrit, pas de commentaire, pas d’histoire officielle, impossibilité d’accéder aux références de la prestigieuse collection de manuscrits orientaux si l’on n’est pas au préalable inscrit en tant que chercheur... Je suis en permanence renvoyé vers le Coran du Sultan Baydar, un coran très richement enluminé, daté du seizième siècle de l’ère chrétienne dont on peut consulter un fac-similé page par page sur le site internet de la British Library. Une œuvre artistiquement intéressante mais de peu de valeur en regard de l’objet de mes recherches... Le Coran ancien de la British Library serait-il un mythe ?
Au début septembre 2003, me voilà à pied d’œuvre. Je visite les salles d’exposition ouvertes au public, derrière des vitrines blindées, j’admire les manuscrits originaux de Léonard de Vinci, le plus ancien texte de la bible, le Codex Sinaïticus daté du quatrième siècle de l’ère chrétienne et j’aborde la section réservés aux corans. Le Coran de Baydar y est exposé en bonne place. À sa gauche, au milieu d’autres corans d’époques diverses, j’ai un choc : un coran en Rasm pur, de style Higazi, parfaitement conservé ! Exactement celui que je cherche ! La petite étiquette m’indique la référence "Or 2165 : Coran de style Higazi, l’une des plus anciennes copies du Coran".... Les questions se bousculent alors dans ma tête : ainsi, le fameux Coran ancien de la British Library existe bel et bien... Mais alors, pourquoi tant de discrétion de la part des détenteurs de ce trésor ? D’où vient-il ? Quelle est son histoire ?
Pour avoir accès à d’éventuels ouvrages traitant du sujet et conservés dans la section "Oriental Manuscripts" de la prestigieuse bibliothèque, il faut bénéficier du statut de chercheur... Je suis reçu par un très british "Staff Officer" qui m’interroge sur le but de mes recherches puis sur mes diplômes. Je découvre alors que mon doctorat en médecine m’ouvre en grand les portes de l’honorable institution.
Grâce à ma toute nouvelle carte de chercheur, j’accède enfin à la salle de lecture de la section convoitée. Les règles sont très strictes : les bagages et les manteaux, ainsi que les appareils électroniques doivent être déposés au préalable à la consigne. Un contrôle des cartes et des affaires personnelles est effectué à l’entrée et à la sortie de la salle. Seuls les feuilles blanches et les crayons de papier sont tolérés (à l’exclusion de tout stylo), chaque chercheur se voit attribué une place numérotée, ceux qui étudient les manuscrits les plus anciens sont directement sous les yeux des bibliothécaires qui épient leurs moindres mouvements... Un silence absolu règne en maître.
Un bibliothécaire m’explique le fonctionnement de l’ordinateur pour les recherches bibliographiques. Je décide de me familiariser avec le système en commandant des manuscrits coraniques coufiques datés du deuxième siècle de l’hégire. Comme il s’agit du Saint Coran, je m’éclipse un instant pour faire mes ablutions. À peine revenu, le bibliothécaire m’amène plusieurs cartons fermés par des lacets. J’ouvre délicatement avec beaucoup d’émotions, une petite notice explicative accompagne le document, une très forte odeur de peau de mouton, j’ai dans les mains un manuscrit vieux de plus de mille ans, quelques versets du Saint Coran, de style coufique primitif avec voyelles colorées. Les larmes aux yeux, je remercie Allah de m’avoir donné le privilège de contempler et de toucher de tels trésors.
L’heure avance et la bibliothèque va fermer, je rentre auprès de ma famille pour préparer ma journée du lendemain consacrée uniquement à l’étude de l’histoire, des origines, des commentaires et des recherches faites sur le manuscrit Or 2165.
Dès l’ouverture, je me précipite dans la salle de lecture. Très rapidement, je m’aperçois qu’il n’existe aucune publication référencée sur le précieux document. Interrogé, le bibliothécaire cède sa place à un monsieur qui se présente comme étant le directeur adjoint de la section des manuscrits orientaux. J’ai enfin un interlocuteur digne de ce nom ! Je le félicite pour la richesse de ses collections puis je rentre dans le vif du sujet : quelle est l’histoire du manuscrit Or 2165 ? comment est-il parvenu jusqu’ici ? D’où vient-il ? Existe-t-il des publications à son sujet ? Comment a-t-il été daté, a-t-il fait l’objet d’études au Carbone 14 ?... Sous le feu roulant de mes questions, je sens le flegme de mon interlocuteur disparaître rapidement pour laisser la place à une certaine fébrilité qui ne cache pas sa gêne...
Ses réponses sont confuses, il en ressort le manuscrit proviendrait du Caire où il aurait été acheté par un pasteur anglais au dix-neuvième siècle puis vendu au British Museum de l’époque. Le manuscrit contiendrait les 3/4 du texte coranique, les procédés physiques de datation auxquels il aurait été soumis n’auraient rien donné. Il se dit incapable de répondre trop précisément à mes questions, n’étant pas spécialiste du sujet... Le grand spécialiste international est un de mes compatriotes, le Professeur François Déroches, qui enseigne à la Sorbonne... C’est lui que je devrait aller consulter, me suggère-t-il.
Comme je continue à le questionner sur l’absence de publication référencée et que je m’étonne de la discrétion de la British Library à détenir un tel trésor, il se souvient soudainement qu’il existe un ouvrage non référencé, auquel a justement participé le Professeur Déroche, qui pourrait répondre à certaines de mes questions. Le marché me semble clair : "Vous arrêtez de me poser des questions sur ce sujet trop sensible, en échange, je vous fais accéder à une publication qui n’est pas officiellement référencée..."
Il disparaît alors pour revenir avec un très volumineux ouvrage, sur le "Projet Amari 2" dédié à Michele Amari, publié à 200 exemplaires par la British Library, Londres 2001. Intitulé "Sources de la transmission manuscrite du texte coranique" de François Déroche et Sergio Noja Noseda, de la Fondazione Ferni Noja Noseda Studi Arabo Islamici.
L’introduction dit qu’au XIXème siècle, Antoine-Isaac Silvestre de Sacy, un français, était professeur d’art oriental au Caire, il étudiait des papyrus de textes anciens et se basait notamment sur les travaux de Ibn al-Nadim du 4ème siècle après l’hégire qui décrivait un style particulier d’écriture dans un ouvrage nommé "Fihrist". Il avait un étudiant, Jean Louis Asselin de Cherville, agent du Consulat de France en Égypte, qui avait réuni une collection de vieux manuscrits coraniques des 7ème au 10ème siècle après J.C. Cet étudiant avait commencé à ranger sa collection mais sa mort précoce l’empêcha de publier. Sa collection fut acquise en 1833 par la Bibliothèque royale de Paris et mise à disposition des orientalistes.
Peu après, Michele Amari, un militant pour l’indépendance de la Sicile, réfugié politique à Paris, fut chargé par Joseph Reinaux, de la Bibliothèque royale de Paris, de classer les documents de la collection d’Asselin de Cherville. Les conclusions auxquelles arriva Amari révolutionnaient les connaissances sur la transmission primitive du Coran, il fut donc organisé un concours sur ce sujet par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Les vainqueurs ex-aeco de ce concours furent Aloys Sprenger, Théodor Nöldeke et Michele Amari.
Le "Projet Amari", lancé en Italie à la fin des années 90, était d’étudier l’ensemble des manuscrits coraniques en style Higazi, en rassembler les textes pour les comparer avec la version actuelle du texte coranique pour pointer les différences éventuelles. Il ressort de ce travail que :"(Le Coran du premier siècle ainsi reconstitué) contient 16 mots qui sont orthographiés différemment de la version officielle du Coran qui est celle du Roi Fouad d’Égypte de 1919...."
Dans le chapitre "Quelques idées pour une conclusion provisoire", Sergio Noja Noseda écrit : "Le Coran du premier siècle que nous avons devrait, pour être complet, comporter 547 pages, mais nous n’en avons que 520. Il manque 27 pages de la sourate 78 soit l’équivalent de 5% du texte total."
Ainsi, suivant cette très sérieuse publication de 2001, les musulmans disposeraient de manière quasi-certaine du texte coranique inchangé depuis le premier siècle de l’islam !
Le précieux ouvrage contient également les photos, grandeur nature, reproduisant les pages du Coran de la British Library référencé et de son frère jumeau, un Coran détenu par la Bibliothèque Nationale de France à Paris, référencé "Arabe 328".
La Bibliothèque Nationale de France puis ma rencontre avec le Professeur François Déroche
De retour en France, je me plonge dans la recherche des ouvrages de François Déroche. La plupart, tirés en petit nombre sont épuisés. Je décide de m’inscrire en tant que chercheur à la Bibliothèque Nationale de France (BnF), à Paris, ce qui me donne accès aux magnifiques salles de lectures, notamment au sous-sol de la Très Grande Bibliothèque François Mitterand. Je navigue alors dans les publications sur la classification des manuscrits arabes anciens, sur la codicologie (la science des codex), les conférences sur les Corans anciens. Ainsi, je prépare l’interview que je compte proposer au Professeur Déroche pour le compte d’Oumma.com.
Parallèlement, je poursuis ma recherche du manuscrit "Arabe 328". Il est localisé dans l’Annexe Richelieu de la BnF et pour y accéder, il faut montrer patte blanche : le statut de chercheur est indispensable, mais en plus, il faut prendre rendez-vous et motiver précisément l’objet de la recherche. Après quelques tentatives infructueuses, j’aurai l’immense privilège d’être en contact avec ce trésor le premier décembre 2003.
Ma première rencontre avec le Professeur Déroche, considéré comme le premier spécialiste mondial des corans anciens, a lieu à l’issue de son cours de codicologie à la Sorbonne. L’homme a une sympathique allure de "Professeur Cosinus", les cheveux en bataille, les pensées souvent absorbées par des réflexions qui échappent au commun des mortels que je suis...
Après une brève phase de méfiance, son œil s’éclaire rapidement de la flamme de la passion quand il parle de ses recherches sur les corans primitifs. Je lui parle de mes recherches et de mes découvertes, il accepte le principe d’une interview. Cette interview a lieu le huit décembre 2003, dans un café parisien. J’en ai longuement préparé les questions en étudiant toutes les publications disponibles sur le sujet et en particulier les ouvrages du maître.
Vous avez été particulièrement nombreux à avoir lu la passionnante étude du Dr Abdallah intitulée « Voyages aux sources du Saint Coran ». Nous publions la dernière partie de cette série à travers un entretien avec l’éminent Professeur François Déroche qui est directeur d’études d’histoire et codicologie du livre manuscrit arabe à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes.
Autant l’historique des manuscrits du Coran référencé BNF, Arabe 328 à la Bibliothèque nationale de France (partie de la collection de Jean Louis Asselin de Cherville) est connue et publiée, autant l’histoire de son homologue de la British Library référencé OR 2165 est mystérieuse et n’a fait, à ma connaissance, l’objet d’aucune publication. Existe-t-il une explication à la pudeur dont font preuve les conservateurs de la British Library ? Pouvez-vous nous éclairer sur l’histoire du manuscrit OR 2165 ?
Je pense que c’est une difficulté réelle. À l’époque où j’avais commencé à travailler sur ce manuscrit, nous avions demandé à mes collègues de la British Library des compléments d’information sur le vendeur, puisqu’on a un nom d’un pasteur anglais qui l’a vendu aux trustees de la British Library. Ils ont cherché dans les sources britanniques sur la question, mais n’ont pas identifié le personnage et, à fortiori, où il l’avait acheté.
Cela dit, dans la collection de la BnF, nous avons quelques feuillets qui semblent être de même origine que le manuscrit de Londres. Dans un scénario possible, ce coran aurait été, lui aussi, conservé dans la mosquée de Amr, à Foustat (le vieux Caire), et aurait été acquis dans le courant du dix neuvième siècle, de la même manière qu’Asselin de Cherville a fait l’acquisition de ses feuillets avant 1820.
Le codex référencé BnF, Arabe 328 est-il un ouvrage unique, recopié par différents copistes ou est-il une reconstruction tardive provenant de Corans différents ? Combien alors et à quelle date se serait opérée la reconstruction ?
C’est un Coran qui est le résultat d’une coopération de deux, voire trois copistes, puisqu’il n’est pas exclu qu’une autre partie de la cote Arabe 328 fasse également partie de cela mais comme il n’y a, pour ces feuillets de la fin du Coran, une lacune codicologique, il est difficile d’être complètement affirmatif.
Je veux dire la chose suivante : dans le 328 a, nous avons deux mains, A et B. Et certains feuillets sont, au recto de la main A et au verso de la main B. Donc nous savons qu’ils ont travaillé ensemble parcequ’on voit bien les changements de mains. En revanche, l’éventuel copiste C intervient sur des feuillets qui ne font pas partie d’un cahier où l’on aurait une autre main et où l’on pourrait alors dire qu’ils étaient en entrain de travailler en même temps. Donc c’est pour ça qu’il y a un point d’interrogation.
Ce manuscrit était à l’origine entier puisque les grandes divisions classiques en moitié, en quart, et cætera, ne sont pas indiquées de quelque façon que ce soit, en tout cas ne donnent pas lieu à une interruption dans la structure des cahiers. Par ailleurs, il semble, d’après les commentaires de l’imam Malik, au cours du deuxième siècle de l’hégire, que cette pratique était à ses débuts mais n’était pas encore admise, puisqu’il la condamne ; on peut penser qu’un siècle plus tôt, une période qui sert de référence à Malik, elle n’existait pas.
Pour faire simple, votre sentiment serait qu’on aurait affaire à un seul codex ?
Je pense que le 328 a est bien un seul codex et il est possible que le 328 b fasse partie du même volume mais on mettra, par prudence, un point d’interrogation. Les catalogueurs précédents avaient tout rassemblé. J’ai préféré réserver la réponse dans la mesure où je crois qu’il faut être prudent dans cette affaire.
Le format vertical des deux codex BnF, Arabe 328 et Or 2165, format très inhabituel pour l’époque, ne suggère-t-il pas une origine commune ? Ainsi, l’existence d’un scriptorium à Médine au premier siècle de l’hégire conforterait la tradition musulmane de transmission du texte coranique dont la compilation se serait faite sous la responsabilité de Zaïd Ibn Thabit ?
Le format vertical est en fait le format retenu au départ. Il semble qu’à l’arrivée de l’islam, face à la nécessité très urgente de noter par écrit le Coran, les considérations prioritaires aient été de l’écrire et que par la suite, d’autres questions ont été abordées, en particulier celles du format.
Nous n’avons pas de texte pour nous renseigner sur la façon dont les choses se sont passées et d’ailleurs, dans l’ensemble la tradition musulmane est muette sur un certain nombre de points importants de l’histoire ancienne du texte du Coran. Ce que je dis ne concerne pas la toute première mise par écrit, qui elle, est relativement bien documentée. Aussi est-il seulement possible de faire des hypothèses à partir de l’observation des manuscrits les plus anciens.
Il semble donc que les autorités ont adopté le codex de l’Antiquité qui à l’époque est la forme dominante du livre, et ont écarté la forme du rouleau qui était un candidat possible : il y avait en effet des communautés juives à Médine, lesquelles possédaient peut-être des Torahs, mais sur ce point également, nous ne possédons aucune indication. Il est vrai que dans un texte de polémique entre chrétiens et musulmans du quatrième siècle de l’hégire, un auteur chrétien dit aux musulmans : « mais vous avez bien commencé par écrire le Coran sur des rouleaux... ». Le reproche fait à l’époque était-il fondé ? Est-ce qu’il ne l’était pas ? Je n’en sais rien, je n’ai pas les moyens de le savoir, mais je pense qu’effectivement, la possibilité de faire un choix entre les deux a existé.
Le choix a en tout cas été fait en faveur de la forme qui était devenu la norme et qui était, du point de vue de la commodité, sans doute la plus efficace. Il faut penser que quand vous faites un rouleau, vous n’écrivez que d’un côté et vous n’utilisez que la moitié du matériau. Nous sommes encore dans des périodes où on ne peut pas se permettre de gaspiller. Je crois que c’est, sans doute, un des éléments qui a dicté le choix qui a été fait à ce moment là.
Pour revenir à la question de départ, le format vertical est donc tout à fait la règle à l’époque ancienne. Nous avons d’autres fragments Higazis de ce format. En revanche, l’existence d’une norme technique unique, liée en particulier à un scriptorium, ne me paraît pas très probable dans la mesure où, dans la façon de fabriquer les cahiers, la plus grande diversité prévaut, de même qu’elle est manifeste dans les variations de l’écriture. Or, si nous avions un scriptorium unique qui aurait travaillé à diffuser des Mus’hafs vers les différentes régions, on retrouverait, je pense, une formule dominante. Or ce n’est pas le cas, on a vraiment différentes façons de faire qui peuvent aussi s’expliquer par des influences locales qui ont été reprises et transférées au Coran.
Dans l’ouvrage "Sources de la transmission manuscrite du texte coranique" que vous avez co-signé avec Sergio Noja Noseda en 2001, vous présentez les manuscrits de style Higazi BnF, Arabe 328 et OR 2165. Selon votre datation, ils sont du premier siècle de l’hégire. Alors que Martin Lings, ancien conservateur des manuscrits arabes anciens du British Museum affirmait dans son catalogue de l’exposition à la British Library pour le World of Islam Festival de 1976, qu’il datait le frère jumeau de ce manuscrit (OR 2165) du début du deuxième siècle. À quoi attribuez vous cette différence d’appréciation qui, pour les musulmans, est plus qu’un détail ?
Dans la mesure où nous avons affaire à des documents non datés, tout cela comporte une partie d’approximations. Initialement, j’ai été très prudent et dans le catalogue de la BnF, je ne propose pratiquement pas de datation parce qu’à l’époque, je ne considérais pas que j’avais les moyens de dater précisément les manuscrits.
Ce qui m’a fait changer un peu d’opinion, c’est le fait d’avoir découvert depuis des manuscrits qui sont très certainement d’époque Oumeyade, pour des raisons qui tiennent à l’histoire de l’art et à la paléographie, et qui forment, pour parler en termes archéologiques, une sorte de couche supérieure. Donc, par déduction, j’en conclus que des manuscrits présentant une graphie qui explique celle de l’époque Oumeyade sont antérieurs.
Cela dit, on peut aussi imaginer un autre scénario dans lequel on aurait une école, disons plus traditionaliste, qui, pendant plus longtemps, serait restée fidèle à la graphie ancienne. Dans ce cas, certains des manuscrits Higazi pourraient avoir été copiés au deuxième siècle. On m’a même dit : « mais ça pourrait être copié au troisième siècle ». Je ne le pense pas ; à mon avis, d’autres arguments laissent à penser que le Higazi a été assez vite abandonné pour des raisons disons, de prestige.
Dans le même ouvrage, vous présentez vos travaux sur les manuscrits BnF, Arabe 328. Vous arrivez à la conclusion passionnante que ce Coran presque complet du premier siècle de l’hégire contient 16 mots qui sont orthographiés différemment de la version officielle actuelle du Coran qui est celle du Roi Fouad d’Égypte de 1919, (après correction des différences incluses dans le texte suites aux différentes réformes grammaticales.). Les musulmans sont donc les seuls monothéistes à posséder des exemplaires du premier siècle de leur texte sacré original ?
Il est certain que, par rapport au christianisme et à fortiori par rapport au judaïsme, le laps de temps qui s’est écoulé entre la révélation et la mise par écrit est effectivement extraordinairement court. J’écarte bien sûr la théorie de Wandsborough qui voit dans le Coran une série de logia prophétiques dont la mise par écrit remonterait au mieux à la fin du deuxième siècle et au plus probable dans le courant du troisième siècle (de l’hégire).
En revanche, pour les questions d’orthographe,je crois qu’il faut attendre, ce sont les résultats d’un sondage qui a été fait et qui a permis d’identifier un certain nombre de variantes. L’étude a besoin d’être poursuivie pour une raison très simple : c’est que nous avons à faire à un "Rasm" (un "squelette consonantique") à l’état pur si j’ose dire. Avec un minimum de points diacritiques.
Nous sommes partis, dans un premier temps, pour faire simple, du Rasm moderne et nous avons re-ponctué le Rasm d’Arabe 328 comme il le serait maintenant. C’est un parti pris et personnellement, je suis assez ambivalent face à ce choix initial qui était surtout conditionné par la technique. J’aurais préféré que nous publions une transcription qui aurait été exactement fidèle au manuscrits et je crois qu’elle serait beaucoup plus intéressante pour les historiens ; bien sûr, ils ont, en fac-simile, les clichés en face donc ils peuvent très bien voir ce qui se passe, mais il me semble que ce serait scientifiquement beaucoup plus cohérent de suivre totalement l’original.
Dans la pratique, dans le premier volume, qui contient l’arabe 328, la typographie avait été aménagée, c’est-à-dire que sont indiqués en caractères gras les points qui figurent sur l’original, le reste est en typographie normale. Le résultat était esthétiquement assez mitigé et pas très lisible, il faut bien le reconnaître. Le deuxième volume, qui est consacré à la première moitié de l’OR 2165, a donc été publié avec la même graphie partout et ça n’est pas, à mon avis, une voie sur laquelle il faut continuer, il faut essayer, et l’informatique devrait le permettre, de donner une édition avec la transcription fidèle à la photo.
Toujours dans cet ouvrage, sous le titre "QUELQUES IDEES POUR UNE CONCLUSION PROVISOIRE", Sergio Noja Noseda écrit : "Le Coran du premier siècle que nous avons devrait, pour être complet, comporter 547 pages, mais nous n’en avons que 520. Il manque 27 pages de la sourate 78 soit l’équivalent de 5% du texte total. En réalité, pour compléter ce Coran, nous avons puisé dans un manuscrit qui est gardé à Istanbul mais qui est lui-même incomplet, il y a un trou entre les sourates 50 et 65. Donc c’est 17% du texte total qui serait manquant sans cet apport". Les mêmes différences sont-elles constatées dans le manuscrit OR 2165 de la British Library ? Les mêmes différences orthographiques s’y retrouvent-elles également ? Où s’agi-t-il d’une conclusion globale à l’étude des deux codex ?
La conclusion en fait est beaucoup plus vaste puisque c’est d’après un sondage sur l’ensemble des Corans Higazis qui existent, tous confondus. Aucun n’est complet, pour une raison très simple : ce sont des manuscrits très anciens et si on cherche dans le monde pour d’autres traditions manuscrites, on verra que beaucoup de textes sont lacunaires.
Ils sont lacunaires surtout au début et à la fin pour une raison très simple : c’est ce qu’on touche le plus donc c’est ce qui s’abîme le plus vite. Alors effectivement, il nous manque le début du texte et la fin. Non pas que ce début et cette fin aient été ajoutés par la suite, c’est simplement que nous n’avons pas de témoins manuscrits de la seconde moitié du VIIe siècle pour nous aider. Mais naturellement, ceci n’est qu’une photographie de l’état de la tradition manuscrite en 2001.
Cet ouvrage est accompagné de deux cédéroms contenant la retranscription électronique en arabe (format Word arabe 98) des deux codex. Est-il possible de se procurer ces cédéroms ? Est-il possible de les publier sur Oumma.com de manière à ce que tout le monde puisse y avoir accès ?
C’est une question à poser à l’éditeur des deux volumes. En principe, je ne pense pas qu’il y ait d’opposition fondamentale, dans la mesure où c’est une transcription que tout un chacun pourrait faire aisément. Il ne s’agit pas de mettre en circulation des images des manuscrits qui eux sont visés par des copyrights.
Sur la totalité des lettres de la vulgate expurgée des modifications grammaticales tardives, quel pourcentage retrouve-t-on dans le codex Bnf Arabe 328 ? À combien passent ces chiffres si on y ajoute le codex OR 2165 ? À partir de ces chiffres, est-il possible d’estimer un pourcentage statistique de fiabilité, par rapport à la révélation, de la version actuelle du Coran ?
Si l’on prend l’ensemble des Corans Higazis, on arrive à 95 pour cent du texte coranique complet (dont environ 20 par un seul manuscrit). C’est une vue statistique et, comme toujours, les statistiques ne veulent pas dire grand chose. Dans la mesure où nous avons sans doute, dès cette époque des qir’ats (des façons de lire) différentes, on ne peut pas en fait se permettre d’additionner les manuscrits. On ne peut pas prendre Or 2165 pour compléter Arabe 328, dans la mesure où il faudrait démontrer qu’ils représentent la même transmission manuscrite. Chaque manuscrit nous donne un renseignement mais un renseignement sur ce manuscrit là seulement. Faire un fac similé où l’on reprendrait des photos de différents manuscrits pour arriver à un Coran complet, c’était un projet qui avait été agité et qui m’avait profondément choqué, à mon avis, ce serait un monstre.
On peut faire une méta-analyse, éventuellement ?
On peut faire une méta-analyse, mais c’est assez difficile parce que, par exemple, dans Or 2165, le copiste n’est pas toujours cohérent : il y a des endroits où, pour revenir à mon "qaala" de tout à l’heure, il écrit "qaala" avec le alif, et d’autre où il ne l’écrit pas. Et pourtant c’est la même main. Et j’ai un manuscrit Oumeyade où c’est encore plus extraordinaire parce que là, c’est à trois lignes d’intervalle sur la même page ou il écrit "qaalou" avec le alif et la deuxième fois sans le alif. On ne peut pas avoir de doute sur le sens du mot. Ce n’est pas quelque chose qui remette en cause le texte lui-même, mais ça montre cette progression de l’orthographe coranique, parce que le Coran que nous avons aujourd’hui, même s’il se présente, dans la post-face de l’édition du Caire comme une reconstruction du Mus’haf othmanien, n’a rien à voir sur le plan de l’orthographe avec ces Corans Higazis qui sont vraiment quelque chose de très particulier, au point de déconcerter le lecteur arabophone. Il ne faut pas se voiler la face, le Coran a, au moins sur ce plan une histoire.
Lorsqu’on interroge les savants musulmans sur le lieu actuel de conservation des codex coraniques les plus anciens, ils nous parlent du codex de Tachkent (Ouzbékistan) et celui du palais du Topkapi à Istanbul (Turquie). Avez-vous étudié ces deux codex ? De quelles époques les datez-vous ?
Les deux manuscrits sont vraisemblablement des manuscrits du deuxième siècle de l’hégire. Je sais que c’est un point qui est sensible et un certain nombre de musulmans sont attachés à ce genre de relique, de même que les chrétiens sont attachés au saint suaire de Turin, par exemple. Donc il faut bien distinguer ici la piété et l’histoire.
Pour l’historien du livre, il est absolument exclu de pouvoir prouver de manière sûre avec ses méthodes que l’un ou l’autre de ces manuscrits remonte à Othman. Alors on pourrait faire une analyse au carbone quatorze, ce serait intéressant, mais ça risquerait d’être extrêmement décevant dans la mesure où on pourrait avoir des résultats qui divergeraient considérablement de ce qu’on attend.
La découverte de milliers de fragments de Corans anciens provenant de 926 Corans différents, lors de la rénovation de la grande mosquée de Sanaa (Yémen) en 1972, a été suivie, en 1999 de déclaration fracassantes de la part d’un chercheur... Plusieurs années après, l’étude de ces fragments a-t-elle amenée quelque chose à la connaissance de la transmission primitive du texte sacré ?
Je dirais malheureusement non, ou trop peu ! Les pistes qui s’ouvrent actuellement sont intéressantes, nous avons toute une série de recherches qui sont entrain de se mettre en place. Le problème, c’est qu’il aurait peut-être fallu commencer par publier les documents pour après proposer des interprétations. Là, en revanche, nous nous trouvons avec les interprétations sans avoir les documents sur lesquelles elles sont supposées reposer.
Je crois que nous avons perdu du temps et peut-être que ce temps ne sera jamais rattrapé. Parce que la controverse est devenue tellement brûlante qu’elle peut rendre l’accès à cette information plus difficile.
En fait, d’après ce que j’ai compris par la suite, Monsieur Puin avait fait des microfilms de ces documents et certains de ces microfilms se sont avéré être voilés.
C’est ce que j’ai entendu dire également. On ne peut en tous les cas pas utiliser ces copies semble-t-il. J’espère qu’on aura une autre façon de procéder.
A-t-on accès aux originaux à l’heure actuelle ?
J’ai pu avoir accès aux originaux, j’ai été très bien reçu au Yémen par les autorités locales, j’ai pu consulter les manuscrits. J’avoue que je pense que les Yéménites peuvent êtres intéressés par la possibilité que ces manuscrits soient étudiés, mais ils ont besoin d’être sûr qu’on n’en fasse pas n’importe quoi. Les polémiques sont venues trop tôt, avant que toutes les informations sérieuses ne soient disponibles ; en outre, et ce n’était peut-être pas très sain, les autorités yéménites ont eu connaissance de tout cela non pas directement, mais disons, indirectement.
Qu’en est-il des collections de Corans anciens dans les bibliothèques des pays musulmans ? Vous citez un codex partiel du premier siècle à Istanbul... Avez-vous eu accès à des collections privées ?
Non, je n’ai pas eu accès à des collections privées, j’ai seulement travaillé sur les collections publiques et, pour faire simple, j’ai essentiellement travaillé en Turquie. Malheureusement, l’accès aux collections du Caire est un peu problématique, on peut se consoler en se disant qu’un certain nombre de manuscrits qui viennent d’Egypte se trouve dans des collections plus accessibles de par le monde.
Où va la recherche dans le domaine de la compilation du texte sacré musulman et dans la datation des Corans du premier siècle ?
La datation des Corans a quand même progressé. On a maintenant une vision plus nette de cette histoire. En Grande Bretagne, certains collègues travaillent sur les lectures : c’est une étude qui est difficile dans la mesure où ce sont des Corans qui ne sont pas vocalisés, donc tout repose sur le Rasm.
Yasin Dutton a néanmoins fait des découvertes intéressantes. Certains nouveaux problèmes sont apparus auxquels je n’avais pas pensé au début, par exemple la question de la division en versets. Les versets sont très exactement indiqués sur les copies anciennes, mais apparemment, comme on le sait depuis longtemps pour le troisième siècle, les divisions en verset ne correspondent pas aux systèmes que nous connaissons maintenant. Il y a en fait une préhistoire de ces théories de la division des versets qui reste à étudier. Ce qui est tout à fait intéressant, ça montre que beaucoup de domaines doivent être abordés, mais ça fait beaucoup pour un seul homme.
Voyez-vous une question importante dans ce domaine que nous ayons oublié de vous poser ?
Pour moi, maintenant, les problèmes sont plutôt ceux du deuxième siècle que ceux du premier. Pour le premier siècle, nous avons maintenant déblayé un certain nombre de questions ; nous ne les avons pas résolues, mais nous avons proposé un certain nombre de théories qui sont contestables et qui seront sans doute contestées. Elles sont là justement pour offrir le point de départ d’une discussion. En revanche, par comparaison, le siècle suivant, qui est un siècle important pour l’histoire de l’islam, est un peu une "Terra Incognita" dans laquelle, pour l’instant, nous n’avons pas de point de repère.
Pas de documents donc ?
La fin des Oumeyades et le début des Abbassides, qui a dû donner lieu à des créations importantes, est assez mal documentée. J’ai bien sûr des hypothèses, mais elles ne reposent que sur le fait que des documents du troisième siècle présentent telle et telle apparence ; ils sont datés par des colophons et par différents moyens, tandis que le deuxième siècle, c’est un petit peu le siècle où l’on met ce que l’on ne réussit pas à caser ailleurs. C’est une façon disons un peu simpliste de travailler. J’aimerais donc par la suite pouvoir d’avantage élaborer et voir, justement, quelles ont été les solutions progressivement mises au point pour la transmission du texte coranique.
Donc, pour le premier siècle (de l’Hégire), est-ce que pour vous, les choses correspondent à peu près à la tradition musulmane, ou quelles en sont les différences principales.
Je ne peux pas aller aussi loin que la tradition musulmane. Pour moi, ce que je peux dire à l’heure actuelle c’est que nous avons des témoins anciens que l’on peut dater prudemment de la seconde moitié du premier siècle de l’hégire, fin du septième siècle de l’ère chrétienne. Des témoins anciens d’un texte coranique qui est grosso modo celui que nous avons maintenant existent bien. Je dis grosso modo, non pas tant pour le contenu mais pour l’orthographe, pour la division en versets, qui sont légèrement différents.
Certaines des trouvailles de Sanaa montrent une organisation différente des sourates, dans une des rares publications que nous ayons. Mais ça montre bien, justement, que ce que nous savons par les textes a été une réalité : des sources signalent qu’il y a eu des classements concurrents des sourates, que le classement que nous connaissons maintenant l’a emporté mais qu’il n’était pas le seul au départ.
Mais dans l’ensemble, je dirais que la silhouette du codex Higazi, pour l’appeler de manière un peu simpliste, même s’il a été copié à Foustat, à Damas ou a Couffa, a quand même pas mal pris tournure.
Je vous remercie, au nom des lecteurs d’Oumma.com, pour l’attention que vous avez porté à nos questions, pour le temps que vous avez passé à y répondre, et pour vos réponses qui nous ont passionnées.
Conclusion
J’ai vécu ce voyage aux sources du Coran d’une manière particulièrement intense, presque mystique. Une sorte de "quête du Graal", version musulmane bien sûr... Au cours de mes recherches, j’ai eu l’occasion de rencontrer des gens formidables, passionnés, que pour des raisons de place je n’ai pas tous cité. Qu’ils soient ici tous remerciés pour leurs précieuses contributions.
J’ai toujours considéré que les musulmans ne devraient pas avoir peur de confronter leurs convictions aux réalités de ce bas monde. C’est par cette méthode que les convictions s’affinent et se renforcent.
Je pense pouvoir considérer que mes recherches ont été couronnées de succès ce qui me procure une grande satisfaction : les données actuelles de la science confirment une grande partie de la conviction des musulmans de détenir le texte original du Coran, d’inspiration divine.
Ce n’est pas la première fois que je constate, après étude approfondie, qu’il n’y a pas de contradiction majeure entre les données actuelles de la science et ma foi musulmane. L’islam est du domaine de la foi, la science est du domaine de l’expérimentation, ma foi ne dépend pas de la science mais il est intellectuellement satisfaisant de vérifier