Une chambre de 1,56 m2, dotée d'un simple lavabo : c'est le logement dans lequel Dominique a vécu pendant quinze ans, pour un peu plus de 300 euros par mois. Il a assigné en justice son ex-propriétaire et lui réclame le remboursement des loyers des cinq dernières années, soit 19 000 euros, et 5 000 euros au titre des dommages et intérêts. Le tribunal d'instance du 11earrondissement de Paris, qui devait rendre sa décision mardi 17 décembre, a ordonné la réouverture des débats. L'affaire sera donc rejugée en janvier.
Le cas de Dominique est loin d'être isolé. "Chaque année, l'espace solidarité habitat de la Fondation Abbé Pierre traite en moyenne 180 dossiers de logement indigne, dont 20% sont de très petites surfaces", indique Sarah Coupechoux, chargée de mission pour l'Ile-de-France, contactée par francetv info. Or, la surface habitable minimum d'un logement est de 9 m2, selon un décret de 2002. Le volume habitable, lui, doit être au moins égal à 20 m3.
Francetv info a rencontré un de ces malheureux locataires, Anssumata, âgée de 35 ans. Elle a vécu dans 7,5 m2 pendant trois ans et demi, parfois avec ses quatre enfants, alors âgés de 11 à 16 ans. Pour 600 euros par mois, elle louait une chambre meublée avec, certes, la douche et le WC à l'intérieur, mais un coin cuisine sur le palier, qui plus est située au sous-sol d'un hôtel particulier du 16e arrondissement de Paris. En mai, elle a été relogée dans un logement social, un F4 de 75 m2 dans le 14e arrondissement de Paris, dont le loyer mensuel est de 706 euros. "Je n'ai pas encore digéré, je n'ai pas pris le temps de souffler. Je me rappelle toujours de ces mauvais moments", confie-t-elle, des larmes plein les yeux.
"Je me suis dit : 'Je prends cette chambre en attendant'"
Pendant une dizaine d'années, Anssumata vit dans l'Essonne. Puis elle trouve du travail à Paris. Pour éviter les problèmes de transport, elle décide, en 2009, de s'installer dans la capitale. Assistante administrative, elle est en CDD et gagne le smic. Elle commence par consulter des agences immobilières, qui lui répondent qu'elle n'a pas le profil adéquat. Elle épluche ensuite les annonces sur le site De Particulier à Particulier, en écartant les locations avec WC sur le palier, "pour des raisons d'hygiène et de sécurité". Elle visite cinq appartements. Certains sont des logements sociaux dont la location n'est pas autorisée, d'autres des chambres en sous-location. Tous sont loués sans bail, au noir. Elle refuse d'y habiter.
Une annonce pour la location d'une chambre meublée dans le 16e arrondissement éveille sa curiosité. Lors de sa visite, en juillet 2009, Anssumata découvre une chambre petite, mais relativement propre, avec du lambris sur les murs. Un lit pour une personne, un WC et une douche y sont installés. La pièce, située au sous-sol, est mal éclairée : seul un soupirail laisse entrer la lumière du jour. Le coin cuisine – deux plaques de cuisson, un four et un réfrigérateur – est situé de l'autre côté du couloir. Aménagé dans un débarras sans fenêtre, il est mal entretenu. "J'ai accepté parce que les propriétaires, un couple de personnes âgées, m'ont promis de signer un bail. Je me suis dit : 'Je prends ça en attendant d'avoir plus grand. C'est provisoire'", explique Anssumata.
En réalité, Anssumata n'a jamais signé de bail. Les propriétaires, qui habitent l'hôtel particulier au-dessus du logement, lui ont fourni deux certificats de location. Mais ils ne lui ont jamais fourni la clé de sa chambre, située à côté de la buanderie, où la femme de ménage vient régulièrement faire du repassage. D'autres pièces du sous-sol servent de débarras, le couple y descend donc régulièrement pour récupérer des affaires. "Je prenais une chaise pour bloquer la porte et éviter que quelqu'un entre." Anssumata a toujours refusé de payer son loyer en espèces. Ainsi, ses virements bancaires lui ont servi de justificatifs de paiement. Des preuves suffisantes pour entamer des démarches judiciaires.
"Tant que vous n'êtes pas dehors, on ne peut rien faire"
En janvier 2010, trois mois après avoir emménagé, Anssumata se tourne vers l'Agence départementale d'information sur le logement (ADIL) de Paris. Une conseillère lui recommande de consulter une assistante sociale et d'obliger les propriétaires à écrire un bail. "Mais je n'ai pas osé leur imposer. J'avais peur d'être expulsée", se rappelle la locataire. Elle voit une assistante sociale. Puis une autre. Et encore une autre. L'une d'elles lui dit : "Tant que vous n'êtes pas dehors, on ne peut rien faire." "Mais pour moi, quand on se retrouve dehors, c'est trop tard", commente-t-elle.
Anssumata dépose ensuite un dossier de Droit au logement opposable (DALO). Sans succès. Puis elle consulte le service insalubrité de la municipalité, envoie des courriers au maire. "Tout ce qu'on me dit de faire, je le fais. Quand vous avez des enfants, vous ne pouvez pas rester les bras croisés", confie-t-elle, en ajoutant avoir eu des pensées suicidaires à l'époque. "A l'époque, je suis désespérée. Mais je continue d'exister, pour mes enfants, je me dois de leur donner une chance", raconte-t-elle, la voix étranglée par l'émotion.
Souvent, ses enfants dorment chez des amis ou de la famille. "Ils étaient prêts à rendre service, mais quand cela dure, c'est trop." Lorsque ses deux garçons et ses deux filles sont là, Anssumata installe des matelas par terre pour qu'ils puissent dormir. L'assistante sociale lui conseille de les placer en internat. Mais les quatre adolescents refusent de se séparer de leur mère. "On était réunis depuis peu : jusqu'en 2008, ils ont vécu aux Comores. Mes parents s'occupaient d'eux. Moi je suis arrivée en France en 1999. Et ils n'ont pas de père."
"J'avais honte de dire que j'habitais dans un sous-sol"
"J'avais tellement honte que je ne suis jamais allée à une réunion parents-professeurs. Je ne pouvais pas côtoyer les parents des autres élèves. Qu'est-ce que j'aurais pu répondre s'ils m'avaient posé des questions sur mon logement ? 'J'habite dans un sous-sol !'?", poursuit Anssumata. Ses enfants sont scolarisés dans le 16e arrondissement de Paris, près de son logement, dans de prestigieux établissements. Un jour, la propriétaire lui lance : "C'est bien beau d'avoir réussi à les scolariser ici, mais encore faut-il avoir les moyens de les loger." Dans le même temps, avec son mari, elle décide d'augmenter le loyer. Anssumata refuse. Le couple lui demande alors de partir.
Anssumata s'obstine à rester. "Je n'avais aucun autre endroit où aller. Je pensais que ma situation pouvait changer. Mais cette chambre est devenue un piège à rats, qui s'est refermé sur moi." Elle contacte la Fondation Abbé Pierre. En décembre 2011, une architecte bénévole se rend sur place. Elle constate que le logement fait 7,5 m2 , ainsi que l'absence d'un dispositif de ventilation, pourtant obligatoire. La Fondation Abbé Pierre l'oriente aussi vers une avocate, qui lui indique la procédure à suivre.
L'interdiction définitive d'habiter dans cette chambre est prononcée par arrêté préfectoral le 4 octobre 2012. Sept mois plus tard, Anssumata quitte définitivement les lieux. Auparavant, en juillet 2012, un jugement oblige les propriétaires à rembourser la totalité des loyers qu'elle a versés. La décision a été confirmée en appel le 5 novembre 2013. Toutefois, elle est encore susceptible de recours.
"De cette période, je garde une grande amertume", dit Anssumata en soupirant. "Mais j'ai fait le maximum. Si je n'ai pas réussi à me loger à Paris, ce n'est pas de ma faute", juge-t-elle. Aujourd'hui encore, elle enchaîne les CDD. Elle espère retourner aux Comores dans trois ans, pour y vivre. "Une fois que ma dernière fille aura eu son baccalauréat", prend-elle le soin d'ajouter.
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