Celui qui lit le Coran pour la première fois sera surpris de rencontrer des versets apparemment contradictoires, rendant parfois plus ou moins licite une chose et l'interdisant ensuite, prêchant la passivité et incitant ensuite à l'offensive, décrétant telle indication pour l'héritage, le veuvage, le vin par exemple, pour énoncer ensuite, d'autres prescriptions. Cette variation d'optique est mentionnée dans le Coran :
- "Dès que nous abrogeons un Verset, ou dès que nous le faisons oublier, nous le remplaçons par un autre, meilleur ou semblable. -Ne sais-tu pas que Dieu est puissant sur toute chose" (S.II,106).
A l'aube de l'Islam, cette question des Versets abrogés et abrogeants (mansûkh wa nâsikh), conduisit les détracteurs de la Religion de Dieu swt à accuser le Prophète sws de faussaire comme l'indique le Coran :
- "Lorsque nous changeons un Verset contre un autre Verset -Dieu sait ce qu'Il révèle - : ils disent : tu n'es qu'un faussaire ! Non ! ...Mais la plupart d'entre eux ne savent pas" (S.XVI,101).
Il ne faut pas perdre de vue que, d'une part, la Révélation s'effectuait graduellement en fonction de l'évolution des événements. Dieu swt, selon les circonstances, abrogeait un texte et révélait un autre qui transformait le précédent, ou le remplaçait totalement. D'autre part, l'ordre des sourates ne correspond pas à la chronologie de la Révélation ; il n'est donc pas étonnant de trouver des Versets abrogés placés avant les Versets abrogeants.
La question de l'abrogation des Versets fut examinée par des Docteurs de la loi. Des ouvrages lui furent consacrés et des listes de Versets abrogés et abrogeants furent dressées. Des commentateurs font remarquer que la plupart des Versets abrogeants furent révélés à la Mecque, tandis que les Versets abrogés le furent à Médine.
Ce serait une grossière erreur de se représenter cette question comme une sorte d'auto-critique, comme si Dieu swt, ignorant les événements postérieurs à la Révélation, se rétractait en présence d'une situation nouvelle, inconnue par Lui précédemment. Un tel raisonnement qui relève de l'impiété, signifie que le Tout-Puissant après avoir conçu préalablement un ordre inique se ravise et rectifie une erreur afin de rétablir une vérité.
Le Verset cité plus haut (S.II,106) montre clairement que l'Omniscient a le pouvoir d'opérer des modifications sur toutes choses et qu'Il prévoit à l'avance les changement de situation. Les perspectives nouvelles n'échappent pas à la connaissance du Créateur. Dieu swt énonce expressément des mesures provisoires en laissant entendre qu'une loi ultérieure pourrait intervenir et solutionnerait définitivement le problème. Il en est ainsi par exemple de la sanction transitoire infligée à l'homme et à la femme adultères : ils sont condamnés à être enfermés jusqu'à la mort, à moins qu'entre temps, Dieu swt ne leur offre une éventuelle issue plus salutaire :
-"Appelez quatre témoins que vous choisirez, contre celles de vos femmes qui ont commis une action infâme. S'ils témoignent : enfermez les coupables, jusqu'à leur mort, dans des maisons, à moins que Dieu ne leur offre un moyen de salut (S.IV,15).
D'autres Versets sont encore plus explicites, ceux relatifs à la Qibla. Le changement de l'orientation de la prière était prévu à l'avance. Les Musulmans tournaient leur face vers Jérusalem. Dieu swt ordonna ensuite de se tourner vers la Ka'ba. La période qui séparait les deux prescriptions était en fait un test. Il s'agissant avant et après la mesure définitive, de distinguer les vrais croyants des égarés :
- "Nous n'avons établi la Qibla vers laquelle vous vous tourniez que pour distinguer ceux qui suivent le Prophète de ceux qui se tournent sur leurs pas" (S.II, 143).
Le fond du problème est celui-ci : à Médine, après l'Hégire, au contact des nouvelles données sociologiques, et économiques, le Prophète sws établit et consolida les principes de l'Islam. Conformément à l'Ordre divin, il fut amené à modifier des Versets ou à les abroger complètement afin de donner plus de clarté à certains faits et d'en enrichir d'autres.
A la mort du Prophètes sws, le Message divin, après avoir traversé différentes étapes évolutives, revêtait son caractère définitif. Les textes abrogés furent maintenus dans le Coran qui constitue un tout tangible.